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"Aucun avantage à être sélectionneur et entraîneur de club"

, par Mocanu

Ancien entraîneur de Vernon, Créteil ou encore Tremblay au plus haut niveau, Dragan Zovko reste un observateur attentif du handball et de son évolution. Après avoir évoqué les avantages et les inconvénients de cumuler les fonctions d'entraîneur de club et de sélectionneur national puis l'omniprésence des espagnols à la tête des équipes nationales, Dragan Zovko approfondit ces deux thématiques dans un long entretien accordé à Handnews.

Dragan, comment peut-on expliquer que les espagnols soient aussi nombreux en tant que sélectionneurs d’équipes nationales dans le hand masculin ?

Je pense que cela s’explique par plusieurs facteurs. Depuis le mondial au Qatar en 2015 puis lors des JO à Rio et du mondial en France, nous assistons à une évolution du jeu et donc de ce qui se passe sur le terrain. C’est le cas aussi de tout ce qui gravite autour du terrain. Le handball se professionnalise, est de plus en plus médiatisé, attire des sponsors et s’internationalise en passant par l’Afrique, l’Amérique Latine et les pays du Golfe. En bref, le marché s’ouvre et s’agrandit avec les nouvelles ligues professionnelles, pendant que la Liga Asobal est frappée par la crise financière. Cette crise provoque une baisse des salaires des bons joueurs espagnols qui sont obligés de s’exiler. Naturellement, cela ouvre également la porte aux entraîneurs. C’est un phénomène de mode qui s’est fortement amplifié depuis le mondial en Espagne en 2013 avec une victoire écrasante du pays hôte en finale contre le Danemark, puis l’arrivée de Valero Rivera sur le banc du Qatar.

C’est donc Valero Rivera qui a, en quelque sorte, lancé la tendance des sélectionneurs de nationalité espagnole ?

Rivera est une autorité indiscutable dans le monde du handball. Il est respecté et consulté. L’expansion des sélectionneurs espagnols commence en effet avec lui, suivie par Talant Dujshebaev à qui on propose la Hongrie en parallèle de son club de Kielce en Pologne, alors que dans le même temps, Manolo Cadenas qui était au Wisla Plock en Pologne est nommé sélectionneur de l’Espagne. Une fois que vous avez trois sélectionneurs espagnols, la mode est lancée. Dujshebaev est ensuite écarté de son poste de sélectionneur de la Hongrie, mais suite au départ d’Ortega de Veszprem, c’est son adjoint Sabaté qui en devient l’entraîneur principal. Pour faciliter les choses, on lui confie également la sélection. La fédération hongroise estime que c’est une méthode qui doit bien fonctionner, même si les résultats n'ont pas encore porté leurs fruits. Pour résumer, la fédération espagnole a su créer, lancer et protéger « l’identité d’école espagnole » notamment avec son club fétiche. Valero Rivera est l’ambassadeur de cette école. La crise en Espagne et l’acceptation de salaires en baisse ont également joué un rôle, conjuguées à un phénomène de mode et de lobbying dans les pays d’Europe de l’est.

"Le handball est avant tout un jeu"

Les espagnols ont une image d’entraîneurs très orientés vers la tactique. Est-ce l’une de leur force pour convaincre des fédérations étrangères ?

C’est une question très complexe et piégeuse ! Il faut d’abord se poser plusieurs questions : qui évalue qui, et par rapport à quoi ? Part-on du principe que le handball est basé sur quatre piliers, à savoir le physique, la technique, la tactique et le mental ? Ou part-on du principe des compétences nécessaires à acquérir pour un entraîneur ? J’avais déjà eu l’occasion de donner mon point de vue sur votre site il y a deux ans. Quand vous dîtes que les entraîneurs espagnols sont orientés vers la tactique, cela peut vouloir dire que, dans leur travail, les entraînements sont surtout focalisés sur la tactique et qu’ils accordent peu d’importance aux autres éléments. Cela reviendrait à dire qu’ils pensent que c’est que dans ce secteur que l’on peut progresser. On peut penser, plutôt, que c’est une philosophie du jeu dans le sens premier du terme. Car le handball est d’abord et avant tout un jeu. Et si nous sommes constamment dans les duels physiques, ce n’est plus un jeu. Cela devient un combat.

Les espagnols auraient donc avant tout des particularités techniques qui les distinguent des autres nations ?

Oui, et je vais prendre un exemple concret pour expliquer mes propos. Les joueurs espagnols dribblent souvent avec la balle, non pas au moment du duel en un contre un, mais plutôt dans la conquête de l’espace. Quand un arrière reçoit la balle dans son secteur, il dribble non pas pour attaquer son vis-à-vis direct mais plutôt un autre joueur à côté. Cela permet de chercher un décalage et de se jeter dans l’espace ou sur le joueur. J’appelle cela « s’injecter dans l’espace » ou « se jeter sur le joueur ». Mais quand ils ont envie d’être en un contre un, vous ne les verrez jamais faire un dribble ! Idem pour la défense. Le défenseur va monter devant son adversaire. Si ce dernier fait un dribble, le défenseur va commencer un travail des jambes et des bras pour harceler l’attaquant adverse et le forcer à faire une mauvaise passe, sans forcément le toucher.

Cela ne relève-t-il pas de la tactique alors ?

Si vous appelez cela tactique, dans ce cas je vous l’accorde, les espagnols sont « orientés tactique ». Si on simplifie la définition, je dirais que la tactique est le moyen d’arriver à un objectif. Dans l’exemple que j’ai décrit précédemment, il y a forcément de la tactique. Mais, la  tactique d’une équipe ou d’un joueur de manière individuelle a un sens plus fin. La tactique, c’est un piège, c’est ce que vous ne voyez pas, c’est vous laisser croire quelque chose, pour finalement faire autre chose. En regardant des matches, on peut même étendre la question : est-ce que le fait de réaliser des croisés ou de mettre en place le fameux yago est aujourd’hui considéré comme de la tactique ?

"Dujshebaev, quel surhomme !"

Beaucoup de sélectionneurs espagnols sont en même temps entraîneur en club. Est-ce, selon toi, une bonne chose ?

On peut se poser la question dans le sens inverse. Beaucoup d’entraîneurs de clubs sont également sélectionneurs. Etre entraîneur est un métier alors que sélectionneur est une fonction. Personnellement, je pense que ce n’est pas une bonne chose de cumuler les deux postes. Mais ce n’est que mon avis que d’autres techniciens ne partagent pas forcément. Après, s’ils arrivent à bien réaliser les deux, pourquoi pas. Cette situation existe quasi exclusivement dans le handball, très rarement dans d’autres sports. On peut aller dans le sens d’une réflexion qui soutiendrait que cette pratique est déplorable et néfaste pour le métier d'entraîneur, mais aussi pour les joueurs et plus globalement pour le sport en général, même si on peut la comprendre dans certains cas. Aujourd’hui, je m’interroge : cela ne dévalorise-t-il pas les entraîneurs de clubs ?

Pourquoi ?

Quelqu’un comme Talant Dujshebaev, qui a des qualités extraordinaires comme entraineur de Kielce, joue en championnat de Pologne, puis doit préparer les matches de Ligue SEHA, puis se retrouve à jouer la Ligue des Champions et, une fois son match européen terminé, devait être quelques heures plus tard avec la sélection polonaise. Quel surhomme ! Vous, les journalistes et le public, nous les entraîneurs, nous sommes en droit de nous demander s’il est possible de bien faire autant de choses. Si on se place du côté des joueurs, on peut aussi penser qu’ils sont perdants dans un tel schéma. A terme, ils pourraient en subir les conséquences.

Ce serait donc en décalage avec les exigences du métier d’entraîneur professionnel ?

Un entraîneur de club qui dirige aussi une sélection n’a plus de temps disponible. Au lieu de rester au club, de continuer à travailler avec ses joueurs pendant la trêve internationale, d’aller découvrir des juniors, d’expérimenter de nouvelles possibilités avec des joueurs qui ne jouent pas beaucoup, de discuter et d’ajuster, il est tout simplement absent ! En décembre 2015, vous aviez ainsi dix entraîneurs de club qui cumulaient leur métier avec un poste de sélectionneur, notamment Manolo Cadenas, Veselin Vujovic, Ivica Obrvan, Talant Dujshebaev ou encore Michael Biegler, Staffan Olson ou Antonio Ortega. Depuis, ils ont presque tous été éliminés pendant la première phase de l’Euro 2016 voire, comme la Macédoine, sortis pendant le TQO.

"Sélectionneur et entraîneur de club n'est pas une bonne chose"

L’heure serait-elle donc à une certaine prise de conscience des différentes fédérations ?

Il ne reste plus que quatre entraîneurs de clubs européens qui cumulent les mandats : Sabate avec Veszprem et la Hongrie, Raul Gonzales avec le Vardar et la Macédoine, Lino Cervar avec le Metalurg et la Croatie et Xavi Pascual avec le Barça et la Roumanie. Cela veut bien dire que les résultats n’ont pas été probants et que les dirigeants de fédération estiment que ce n’est pas une bonne chose. Personnellement, je partage totalement cette opinion.

Ce n’est donc pas (ou plus) une force d’être à la fois sélectionneur et entraîneur de club ?

Pour moi il n’y aucun avantage, au contraire ! Je peux comprendre certaines fédérations comme la Macédoine qui, pour optimiser l’utilisation du coach, lui demandent de s’occuper de la sélection en plus du club phare du pays car la plupart des internationaux évoluent dans ce club. Mais cela pose aussi des questions éthiques. Comment peut-on avoir sept ou huit joueurs de son club en sélection et être objectif vis à vis des autres joueurs ? Quelle attitude adopter pendant les matches de championnat ? Comment un joueur d’un club adverse qui a été privé de trophée national va-t-il réagir en sélection ? Lorsqu’on a le sens de la morale et des valeurs éthiques profondément ancrées, j’estime qu’il n’y a aucun avantage à cumuler les deux fonctions.

Pourquoi aussi peu d’entraîneurs français dirigent-ils une sélection étrangère ?

Je pense qu’il y a plusieurs raisons, même si la direction technique fédérale pourrait mieux y répondre que moi. Je n’ai que des suppositions à apporter. Peut-être considère-t-on que nous, les entraîneurs français, ne sommes pas assez bons ? Peut-être que les coaches français n’ont pas envie non plus d’y aller ? Pour être sélectionneur national, vous devez avoir un CV bien garni, un profil qui corresponde à la culture du pays. Il faut aussi quelqu’un qui vous vende bien, et évidemment que vous ayez envie d’y aller. Ceux qui ont de bons CV et qui pourraient y aller sont souvent très bien en France et n’ont pas d’intérêt à se mettre en danger à l’étranger. Ce sont aussi des affaires qui se traitent entre les fédérations. Il est difficile, sans aide de nos élus de la fédération, d’entrer en contact avec les présidents des autres fédérations ou les DTN. Moi, je ne me poserais pas la question actuellement puisque je suis en recherche de poste !

"Nous devons organiser notre marché du travail"

Le handball français n’a-t-il pas du mal à vendre les compétences de ses entraîneurs à l'étranger ? Ou est-ce davantage un problème de réseau et de lobbying ?

C’est certainement les deux. D’abord, pourquoi veut-on que les coaches y aillent ? On est bien en France ! Le droit du travail et le code du travail sont bien faits dans notre pays. Ensuite, je pense que notre sport n’est pas encore un produit, malgré les avancées considérables de ces dernières années. Il n’est pas basé sur une économie réelle. Finir à la cinquième ou à la dixième place ne met pas les entraîneurs en danger car le club ne perd rien financièrement. Même en cas de descente, les pertes économiques ne sont pas très importantes. Il n’y a pas de vraie obligation de résultat en France. Ailleurs, quand tu perds trois matches, tu es à la porte. Peut-être également que ceux en charge de recruter des sélectionneurs estiment que nos entraîneurs ne sont pas suffisamment mûrs, qu’il leur manque des résultats sur le plan international avec leurs clubs. Mais on peut espérer que cela évolue bientôt. Il y a pourtant des entraîneurs qui sont prêts à tenter des expériences à l’étranger, qui aiment prendre des risques et sont constamment à la recherche de performance d’un week-end à l’autre.

La solidarité entre entraîneurs français pourrait-elle aussi être un atout pour s’exporter ?

Je pense que ceux qui sont déjà à l’étranger doivent faire en sorte d’ouvrir les portes aux autres. Regardez comment procèdent les espagnols, les islandais, les tunisiens au Qatar, et plein d’autres nations. Ils se soutiennent entre eux. Quand Rivera est arrivé au Qatar, il a fait venir des espagnols dans les clubs et les différentes sélections. Nous devons commencer par organiser notre marché du travail en France, encourager la culture des résultats et de vraies performances, optimiser le travail technique et organisationnel dans les clubs et ensuite l’export viendra naturellement. Et, par là, la reconnaissance internationale.

Propos recueillis par Olivier Poignard

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SIMONNET
SIMONNET
6 années il y a

Analyse pointue, éclairée et éclairante de DRAGAN. Surtout qu’il retrouve un club auquel les dirigeants souhaitent le meilleur avec un entraîneur qui est bien un des meilleurs. Maturité et intelligence mesdames et messieurs les responsables de clubs.

PHIMB
PHIMB
6 années il y a

Les français doivent être bien en France… Anti ou Canayer pourraient largement gérer un gros club étranger ou une sélection, Cazal a refusé Veszprem, etc. Moi ça me va bien que ces talents restent en France.
Il faudrait que des coaches français gagnent des trophées européens, mais ça ce n'est pas pour tout de suite…

Lucas8
Lucas8
6 années il y a

Simonet ?! Une blague ton analyse… Demande aux club où il est passé…

Kieler
Kieler
6 années il y a

Anti futur entraineur de Barcelone s'il continue de récupérer ses joueurs XD

Sasori9
Sasori9
6 années il y a

Les coachs français sont en manque dambition, ils préfèrent rester au chaud et dans leur prison doré ou on ne demande pas de gagner les coupes deuropes mais seulement faire la figuration en Coupe dEurope sinon aller en finale pour perdre genre Poulidor. Tranquïlle !

max
max
6 années il y a
Répondre à  Sasori9

En même temps en sélection nationale, les coachs français se débrouillent plutôt bien : Constantini, Onesta, Dinart, Gille. Du coup, est ce qu’on peut dire que les coachs étrangers manquent d’ambition en sélection nationale ?

Sylla
Sylla
6 années il y a

Merci à tous pour vos réactions éclairées sur nous coachs de Lidl Star Ligue.
J’engage Dragan à lire ce que le philosophe André Comte-Sponville écrit dans « Le capitalisme est-il moral ? » , il distingue l’ordre moral de l’ordre éthique. Pour lui, la morale est ce que l’on fait par devoir (en mettant en oeuvre la volonté) et l’éthique est tout ce que l’on fait par amour (en mettant en oeuvre les sentiments). J’aime le handball… Et je persiste à dire qu’il y a beaucoup d’avantages à cumuler les deux fonctions. Il y a aussi des inconvénients. Certains étant soulignés par Dragan. Mais l’éthique, la morale (origine grecque du mot éthique) engage celui qui est en responsabilité. Je ne considère pas en manquer.
Sportivement.
Yérime Sylla.

Deucalion
Deucalion
6 années il y a

Sasori9 ça manque un peu d’arguments ton affirmation « les coaches Français manquent d’ambition ». Un peu facile non?

Un petit entraîneurs de jeunes

Sasori9
Sasori9
6 années il y a
Répondre à  Deucalion

Non, non, je pense qu'il vaut mieux rester la.
si je vais plus loin, je vais provoquer un incendie !!!.
Les Francais sont sensible, très très sensible…. et névrose,comme Macron dit.

DN
DN
6 années il y a

Je trouverai intéressant que tu argumentes Sasori

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