Argentine

Patagonie, terre de feu et de handball

Agustin Vidal

A l’extrême sud de l’Argentine et du Chili, et à la pointe du continent sud-américain, la Patagonie s’éveille progressivement au handball, faisant preuve d’un vrai dynamisme. Cette région isolée, qui affronte des conditions climatiques difficiles tout au long de l’année, compte bien profiter de l’essor du handball en Argentine. Mais le chantier est immense.

PatagonieLa simple évocation de son nom a suffi à faire rêver des générations de voyageurs. La Patagonie, symbole de liberté et d’aventure, est l’une des régions du monde les moins peuplées. Représentant près d’un tiers de la superficie de l’Argentine, elle compte cinq provinces principales, dont la mythique Terre de Feu. Si la plupart des villes qui constituent cette région comptent entre 40.000 et 50.000 habitants seulement, la ville de Neuquén est la plus peuplée avec plus de 200.000 habitants. Avec les longues distances qui séparent chaque ville (plus de 1000 km entre certaines d’entre elles), vivre en Patagonie ressemble à un défi quotidien, loin, si loin de Buenos Aires, la capitale située à plus de 1500 km de distance. Dans cette région où chaque déplacement de ville en ville demande plusieurs dizaines d’heures, le handball a progressivement étendu sa toile.

Derrière le football, le handball se développe

Si l’Argentine a découvert assez récemment le handball de très haut niveau, comme l’atteste sa première participation aux Jeux Olympiques l’année dernière à Londres, c’est notamment à cause de la place majeure occupée par le football. Sport roi s’il en est en Amérique du Sud, le foot attire tous les regards et toutes les attentions des médias. En Patagonie, les conditions climatiques extrêmes ont poussé le futsal sur le devant de la scène, malgré un manque criant d’infrastructures qui pénalise aussi le développement du handball. « Le jeu à sept est le sport qui s’est le plus développé ces dernières années », explique Carlos Zorrozua, professeur d’éducation physique dans la région et responsable des équipes de handball au niveau fédéral depuis quatre ans.

Plus de 3000 licenciés en Patagonie

IMG-20130727-WA000Depuis 2003, Carlos Zorrozua (photo ci-contre) a fait du handball l’une de ses raisons d’être. Depuis son premier programme scolaire mis en place à Ushuaïa, il s’est imposé comme l’un des principaux bâtisseurs du développement du « balonmano » dans la région. « Le hand est un sport très pratiqué en Patagonie, détaille-t-il. Il existe plusieurs clubs et écoles municipales avec un niveau intéressant. Par exemple, en Terre de Feu, on peut y jouer dans trois villes : Rio Grande, Tolhuin et Ushuaïa ». Toutes les catégories sont concernées, avec la création de nouveaux clubs chaque année. La hausse du nombre de pratiquants (plus de 3300 joueurs au niveau fédéral, mais beaucoup plus au niveau scolaire et amateur) a mécaniquement entraîné une progression de la qualité de jeu et de la concurrence. Intégrée au sein de la Confédération Argentine de Handball (la fédération), la Patagonie a structuré le développement du handball autour de sept entités qui comptent au total une centaine de clubs.

« Les grandes distances et les difficultés pour se déplacer ont entraîné la création de plusieurs fédérations locales, explique Juan Carlos Rennis, en charge des relations presse au sein de la fédération argentine (CAH). Depuis l’année dernière, les clubs de Patagonie ont obtenu de bons résultats dans les compétitions inter-régionales. Cependant, cette région ne fait pas partie des régions les plus puissances du handball argentin ».

 L’isolement, un frein au développement du handball

d740_W0481ofvd4rjo8asknso3ycLa région de Buenos Aires reste en effet l’épicentre du développement du handball argentin. Tout ou presque se passe autour de la capitale, avec un niveau de développement du jeu à sept bien différent. « Il est évident qu’il y a de grandes différences avec la Patagonie, confirme Carlos Zorrozua. A Buenos Aires, les jeunes s’entraînement quatre à cinq fois par semaine, pris en charge par des techniciens et préparateurs physiques. Ils sont ainsi repérés pour jouer en sélection. » A Ushuaïa, la problématique est bien différente. Ne pouvant pas voyager plusieurs fois par an pour rejoindre Buenos Aires, les jeunes ne jouent pas dans la même cour.

« Nous devons également reconnaître que notre niveau en termes de concepts de jeu n’est pas comparable avec ceux qui vivent la concurrence au quotidien, poursuit Carlos Zorrozua. Se rendre à des formations et conférences, comme celle donnée par Alain Quintallet récemment, nécessite des efforts financiers pour se déplacer. » Isolée, la Patagonie reste pour l’instant en retrait du handball de très haut niveau. « Je n’ai pas eu la chance de jouer de matches dans cette région, regrette Diego Simonet. Mendoza, Cordoba et Salta ont été trois des villes que j’ai le plus visitées pour des matches de jeune. »

Pas de réelle politique sportive

Diego-SimonetSi l’Argentine des frères Simonet poursuit son ascension sur la planète handball, la Patagonie peut-elle contribuer à fournir plusieurs joueurs de haut niveau ? Le manque d’infrastructures et l’histoire récente du handball dans la région font plutôt pencher la balance du côté du non. « On ne peut pas dire qu’il y ait une différence de culture entre le handball de Patagonie et celui de la capitale, analyse Diego Simonet. Mais en revanche, il y a une vraie différence de niveau. » Un point de vue auquel font échos les propos de Carlos Zorrozua. « Le niveau s’améliore d’année en année, explique-t-il, avec des concepts actualisés en fonction des formations reçues par les entraîneurs. Le travail est ardu mais très intéressant pour poursuivre notre chemin. »

Le manque de moyen financier est également à prendre en compte. Les déplacements absorbent ainsi une grande part du budget de l’année. Le responsable des équipes au niveau fédéral tient d’ailleurs à mettre en garde contre le manque de soutien. « Il n’existe pas d’aides ni de politique sportive qui permettent un meilleur développement, regrette-t-il. Les professeurs et les familles investissement pour développer cette activité, avec des résultats en progression, mais nous n’avons pas l’impression d’être soutenus. »

Des tournois tout au long de l’année

Beach Handball 2Malgré ce manque d’aide au développement du handball dans la région, la Patagonie fait preuve d’un vrai dynamisme avec de nombreux tournois organisés tout au long de l’année. Diverses initiatives ont ainsi vu le jour ces dernières années, notamment le Tournoi de Beach Handball organisé pour la huitième fois en janvier et février dernier. Le gouvernement de la région de Rio Negro a même inauguré de manière officielle le tournoi, preuve de l’intérêt portée au handball dans la région. Cela fait même plus de 17 ans que l’on y pratique le beach handball. Les tournois plus classiques organisés dans la province de Santa Cruz réunissent quant à eux à la fois des équipes de Patagonie argentine mais aussi chilienne.

Emil_PuntaArenas2 001Le pays voisin a pu compter très tôt sur la détermination d’un homme, Emil Feuchtmann, qui avait notamment créé dans les années 80 une association pour regrouper les clubs de la région entre les deux pays. Punta Arenas au Chili et Rio Gallegos en Argentine étaient ainsi les deux villes pionnières du balonmano en terres australes. Le Tournoi de la Patagonie organisé à Punta Arenas était devenu un rendez-vous incontournable dans la région. « Il est plus facile pour les clubs de Patagonie d’être connectés entre eux en raison des distances », explique Inga Feuchtmann, fille d’Emil et joueuse de la sélection chilienne. Diego Simonet estime de son côté que la création d’une ligue nationale pourrait aider le développement du handball en Patagonie. « Cela permettrait d’avoir une meilleure concurrence, explique le néo-montpelliérain, avec notamment des équipes de Cordoba, Mendoza et Buenos Aires. »

Agustin Vidal, tête d’affiche dans la région

Augustin VidalSans compétition de premier ordre, la Patagonie reste encore en retrait sur la carte du handball argentin. Cependant, un joueur sort du lot : Agustin Vidal. « Quand on me parle du hand en Patagonie, je pense tout de suite à Agustin, confirme Diego Simonet. Il est l’image du hand ici. » L’intéressé assume son rôle de porte-drapeau régional. « Je suis le seul de la sélection à ne pas venir de Buenos Aires, explique Agustin Vidal. Grâce au soutien de ma famille et d’amis, qui ont cru en moi, j’ai réussi à intégrer la sélection. En partant en Espagne à 17 ans, j’ai pu grandir beaucoup plus vite que si j’étais resté en Argentine. » Originaire de Viedma, il estime que le « développement du handball en Patagonie n’est pas bon. » « Pour prendre mon cas personnel, je jouais 5 ou 6 matches par an, et toujours contre les mêmes adversaires car il n’y avait pas d’argent pour voyager. »

Des conditions précaires

Avec des terrains pas toujours réglementaires, une absence de chauffage dans les gymnases et un sol en ciment, difficile de se construire un destin international. « Ces conditions ne te rendent pas plus fort mais au contraire te limitent dans ton travail et ton entraînement », regrette Agustin Vidal. Le gaucher argentin aimerait que les choses changent. « C’est un sujet qui me fait du mal et me rend triste, confie-t-il. Je n’oublierai jamais mes amis qui n’ont jamais été convoqués en sélection, parce qu’ils ne venaient pas de Buenos Aires. J’ai vu passer beaucoup de jeunes avec de vraies aptitudes pour le hand de haut niveau dans la région. » Et de préciser : « Je n’ai aucun problème avec les habitants de Buenos Aires. Ceux qui sont actuellement en sélection le méritent et sont les meilleurs du pays. »

La sélection en Patagonie ?

argentineL’équipe nationale pourrait-elle contribuer au développement du hand en Patagonie ? La sélection dispute ses matches officiels à Buenos Aires, et sillonne également le pays pour des rencontres amicales, comme à Mendoza contre le voisin chilien en 2011, Villa Ballester contre l’Uruguay en 2007 ou encore Mar del Plata en 2006. La sélection argentine n’a en revanche jamais disputé de match amical en Terre de Feu. Du côté de la fédération, la réponse est sans détours. « Il est peu probable de voir un match des Gladiatores en Terre de Feu, avoue Juan Carlos Rennis. Cela tient notamment au fait que beaucoup de sélectionnés évoluent à l’étranger. » Le soutien d’Eduardo Gallardo, le sélectionneur des Gladiatores, permet néanmoins aux formateurs de la région de progresser dans leur enseignement du handball. « Nous devons apprendre beaucoup de Gallardo et de son staff », estime Carlos Zorrozua. Avec l’humilité si caractéristique des habitants de Patagonie.

Olivier Poignard


Le festival de Diego Simonet – Montpellier vs… par Handnews

1 CommentairePoster un commentaire

  1. skancho - le 27 août 2013 à 10h46

    Merci beaucoup pour ce passionnant article. Un point supplémentaire : Beaucoup de Patagoniens font leurs études à Buenos Aires (parfois en partant assez jeunes). Donc en étant passionnés de hand, il y a de bonnes chances pour qu'ils continuent cette activité dans la capitale, et qu'ainsi ils aparraissent sur les radars de la fédé. En tous cas, le climat là bas est propices aux sports indoor, mais s'il fait 5° dans les gymnases l'hiver, c'est pas franchement motivant.

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