Alors que la plupart des équipes s’apprêtent à reprendre le chemin de l’entraînement avant d’aborder les matches de préparation aux quatre coins de l’Hexagone, Handnews vous propose sa série d’été consacrée au métier d’entraîneur. Personnage central d’une équipe, il est aujourd’hui en première ligne pour atteindre les résultats attendus par ses dirigeants et actionnaires. Après Dragan Zovko, c’est au tour de Mario Cavalli de nous donner sa vision de son métier.
A Chambéry depuis 38 ans, entraineur depuis 22, tout en étant passé par tous les postes au sein du club savoyard, de directeur sportif à entraineur adjoint, Mario Cavalli possède un solide vécu en terme d’entrainement et de management. Après avoir été l’adjoint de Philippe Gardent pendant treize saisons, il va entamer sa troisième saison en tant qu’entraineur-chef avec comme adjoint Jackson Richardson.
Mario, quelle est pour vous la définition du rôle d’entraineur ?
– Je crois que notre but est d’apporter un langage commun à l’équipe. Il nous faut mettre en place des repères, un référentiel commun, connus et appliqués par tous les membres du projet, joueurs comme staff. En tant qu’entraineur, on est en quelque sorte garant du projet, je crois que c’est le point le plus important. A Chambéry, nous essayons d’avoir un projet clair, défini, et en cas de souci, que ce soit sur le terrain ou en dehors, les réponses ont été anticipées, prévues, et elles sont communes à tout le monde.
Cette définition a-t-elle évoluée depuis que vous êtes passé entraineur numéro 1 ?
– Non, je ne crois pas, ma philosophie a toujours été plus ou moins la même. Je suis entraineur depuis 22 ans, j’ai connu tous les rôles au sein du club de Chambéry. Pour ce qui est de celui d’entraineur, il est important que le projet et les repères communs soient compris par les joueurs, que ceux-ci y adhèrent afin d’apporter des réponses aux problèmes posés.
Qu’est-ce que votre expérience d’adjoint avec Philippe Gardent vous a apporté dans votre pratique d’aujourd’hui ?
– Ce que Philippe m’a apporté le plus au départ, c’est une connaissance du haut niveau que je n’avais pas, même que nous n’avions pas, collectivement, à Chambéry. Nous avons toujours eu de très bons jeunes, avec une grosse capacité de travail et d’entrainement, et cela nous a permis de sortir quelques excellents joueurs. Mais le haut niveau, nous ne connaissions pas trop à Chambéry, cet expérience nous ne l’avions pas, et nous avons péché dans ce domaine à un moment. Philippe, en arrivant de Marseille, a tout de suite comblé ce manque. Il est une référence sûre, avec un gros bagage en terme de connaissance du handball, d’expérience, et d’ailleurs son arrivée s’est immédiatement traduite sur le plan sportif, puisqu’après avoir joué le maintien, nous avons fini cinquième pour notre première saison avec lui. Son apport a été bénéfique à moi, mais aussi à tout le club.
Peut-on imaginer un entraineur être performant sans cette expérience du haut niveau?
– Je ne sais pas, mais cela compte énormément. Ce gros vécu, certains l’ont grâce à leur carrière de joueur, d’autres l’acquièrent dans leur carrière d’entraineur. Philippe, pour revenir à lui, l’avait acquise avec Marseille et l’équipe de France. Même si le métier a évolué, ce vécu est irremplaçable, et moi je ne le possède pas forcément. J’ai joué jusqu’en D2, mais la D1, la Coupe d’Europe, sont des choses que je n’ai jamais vécu, je n’ai pas cette culture du haut niveau. Mais je l’ai compensé par la suite, en 22 ans sur le banc ou pas loin, on apprend beaucoup de choses, j’ai fait sept ou huit Ligue des Champions sur le banc, donc j’ai en partie comblé mon manque d’expérience en étant sur le banc.
“Au fil des années, je me suis éloigné des joueurs”
Avez-vous aujourd’hui les mêmes relations avec les joueurs que celles que vous entreteniez quand vous étiez entraineur-adjoint ?
– Non, bien sûr que non, le personnage a changé. Au fil des années, je me suis éloigné des joueurs. Quand on est entraineur principal, on est forcément moins proche des joueurs, mais c’est la fonction qui veut ça. Quand on est adjoint, on sert de tampon entre le joueur et le numéro un. Ce rôle, je l’avais moins pendant les dernières années avec Philippe, on était plus en doublette qu’en numéro un et deux. Forcément, quand on passe entraineur chef, on perd en proximité, parce qu’on fait des choix que tout le monde n’apprécie pas, et pour plein d’autres raisons…
Comment s’est faite la transition il y a deux saisons ?
– Assez naturellement, du fait que le groupe n’avait pas trop changé, on avait juste eu quatre arrivées, celles de Kevynn Nyokas, de Marko Panic et celles des frères Gille, mais que je connaissais déjà car ils étaient déjà passés par le club. J’ai plus connu de difficultés sur le terrain, sur comment gérer certaines situations comme l’accumulation de blessures ou des choses comme ça, plutôt que dans ma prise en main du groupe proprement dite.
Cela fait bientôt quarante ans que vous êtes à Chambéry. Vous n’avez jamais eu envie d’aller voir ailleurs ?
– Bien sûr que la question s’est posée. Mais si j’étais parti, ça n’aurait pas été pour changer de club mais pour élargir ma culture. A Chambéry, j’ai eu un apport grâce à des personnes extérieures que j’aurais peut être été chercher autre part si ils n’étaient pas venus à moi. Mais c’est évident qu’en quarante ans la question m’a traversé l’esprit, mais uniquement dans un but d’enrichissement handballistique personnel.
Comment jugez-vous l’évolution du métier d’entraineur sur ces vingt dernières années ?
– Forcément, il a grandement évolué. Sans vouloir faire vieux combattant, j’ai connu la D1 amateur, avec des gens qui avaient deux vies professionnelles en même temps. La professionnalisation a changé les relations entre humains si j’ose dire. On se rend compte qu’on a un véritable métier entre les mains désormais. Mais l’entraineur est encore en pleine évolution. Le sport se professionnalise, donc nous entraineurs devons évoluer, les équipes dirigeantes aussi et on doit tendre vers une attitude encore plus rigoureuse dans notre métier. J’espère que la passion prendra toujours le pas sur le reste, mais il faut aussi réaliser qu’on doit tendre vers une responsabilisation de plus en plus grande des joueurs. Il faut qu’ils fassent toujours plus leur métier, si j’ose dire. Et tout le monde, tous les gens qui sont dans des clubs de handball pro doivent également évoluer dans ce sens là.
Pour revenir au poste d’adjoint, vous aurez la saison prochaine Jackson Richardson sur le banc à vos côtés. Un choix de votre part ou une décision du club ?
– La saison passée, Laurent Munier a rempli ce rôle d’adjoint. Il ne pourra plus le faire car il a changé de statut au club et qu’il passe directeur général et que les deux fonctions sont incompatibles. Nous nous sommes donc concertés avec Laurent et nous avons rapidement conclu qu’il fallait trouver un adjoint. On a rapidement pensé à Jack, parce qu’il connait bien le club, car ce poste rentrait dans le cadre de sa formation du DES. Nous avons proposé, il a réfléchi pendant deux mois avant de se dire honoré et d’accepter. Cette décision est le fruit d’une réflexion commune, pas d’un caprice de ma part ou d’une obligation de la direction. J’ai entrainé Jackson pendant trois ans, je le connais, j’ai largement discuté avec lui depuis et nous sommes d’accord sur les prérogatives et sur le rôle qu’il occupera.
Justement, maintenant que les rôles sont inversés et que vous êtes numéro un, qu’attendez vous de votre adjoint ?
– Bien sûr, on va se partager les rôles à l’entrainement, des choses dans ce style, mais pour moi c’est presque anecdotique. Ce que je veux surtout, c’est qu’il y ait un partage, un échange autour du projet, pour le construire. J’attends qu’il complète ce que j’apporte au groupe, qu’il soit capable de susciter en moi des questions que je ne me serai pas forcément posées. Cela va lui demander beaucoup de travail, en termes de vidéos, d’analyse de notre jeu mais aussi celui de nos adversaires. Je vais énormément le solliciter, mais il est évident qu’en tant qu’entraineur en chef, les décisions finales me reviendront. Mais je les prendrai en concertation avec mon adjoint.
Est-ce que la venue de Jackson n’est pas, encore une fois, un moyen de continuer à vous enrichir ?
– Evidemment. J’ai entendu beaucoup de remarques quant à l’arrivée de Jack, dans les médias, comme quoi il était parachuté ici ou des choses comme ça. Ce qu’il faut savoir, c’est que Jack habite à Chambéry, qu’il a joué ici, qu’il connait très bien la maison. Et à un moment, si l’expérience ne vient pas à vous, si les apports ne viennent pas à vous, il faut aller les chercher. C’est ce que nous avons fait. Il va nous apporter sa culture du haut niveau, mais aussi du handball étranger, puisqu’il a joué en Espagne et en Allemagne, avec des méthodes différentes de celles que nous connaissons ici. Jack est instinctif sur le terrain, et sur le banc j’attends de lui une grande aide. Et son arrivée va nous permettre d’être plus fort face au groupe.
On se sent plus faible sans adjoint ?
– Forcément, c’est plus difficile quand on est seul, et j’ai besoin de quelqu’un à mes côtés. Pas pour le coté autorité, mais c’est toujours bon d’avoir un second avis.
“La difficulté du métier vient de la médiatisation du handball”
Managez-vous les grands noms de votre effectif différemment des autres ?
– Les rapports sont bien entendu différents, même si cela n’est pas lié au nom mais plus au statut du joueur. On ne va pas avoir les mêmes rapports avec Damir Bicanic ou Bertrand Gille qu’avec un jeune qui sort du centre de formation. Je suis plus dans l’échange avec les gens qui ont du vécu, même si tout dépend de la personnalité du joueur aussi. Par exemple, Damir est un excellent joueur, mais qu’il faut aider à diriger, tandis que quelqu’un comme Edin Basic, on peut lui donner les clés du camion et il est capable de gérer sans qu’on ait à lui dire quoi que ce soit.
N’est-ce pas un peu vexant de penser qu’une équipe soit capable de jouer sans qui que ce soit sur le banc ?
– Au contraire, c’est pour moi la plus grande des réussites. Le plus gros du travail de l’entraineur/manager se fait à l’entrainement. En match, on est là pour prendre le relais quand le meneur de jeu perd la boule, pour redonner le sens du jeu à l’équipe. Ou dans des situations bien particulières, comme les fins de match ou des choses comme ça. Je crois qu’entraineur, c’est un peu comme prof. On fait en sorte que l’équipe soit capable de jouer, on donne tous les outils pour que le joueur, ou l’élève si on reste dans l’analogie de l’école, n’ait pas besoin de nous. Et si cela fonctionne, on ressent cela comme une vraie réussite.
A quel moment vous êtes vous senti en difficulté en tant qu’entraineur à Chambéry ?
– La difficulté vient de la médiatisation accrue du handball, et qui dit plus de médiatisation dit plus de pression. A Chambéry, nous avons la chance que cette pression ne vienne pas trop de l’intérieur que de l’extérieur, la presse, les supporters. Mais malgré des moments difficiles, j’ai toujours senti de la sérénité. On a eu beaucoup d’échanges en commun pour éviter les crises, comme celle de novembre cette saison. Alors oui, on sent que le public n’est pas content, on a des articles peu élogieux dans la presse, mais le socle du club est assez solide pour résister à ce genre de choses.
Justement, comment avez-vous géré la crise de résultats en novembre ?
– En novembre, le doute s’est installé parce qu’on n’y arrivait pas. Parfois on joue mal et on arrive à arracher des résultats. Là ça n’était pas le cas, Chambéry s’est trouvé dans une véritable spirale négative. On savait pourquoi on en était là, et on a résolu le problème en discutant avec les joueurs, plus qu’à l’accoutumé sans doute, et en travaillant. J’ai cherché à protéger le groupe, à le responsabiliser aussi, mais cela ne veut pas dire que je n’ai pas fait d’erreurs; loin de là. D’ailleurs, j’en ai fait une à un moment et les joueurs me l’ont immédiatement dit. Dans les moments difficiles, je ne suis pas partisan de piquer les joueurs pour les réveiller. Cela n’est pas ma philosphie.
Pour parler du recrutement, deux des trois joueurs qui ont signé au CSH cet été sont étrangers. En tant qu’entraineur, comment gérez vous leur adhésion au projet ?
– C’est forcément plus compliqué, il leur faut plus de temps. Les meilleurs mettent forcément moins de temps à s’adapter, mais globalement à Chambéry nous avons progressé là dessus. Les jeunes du centre sont désormais intégrés à nos entrainements et ils sont donc plus rapidement opérationnels en cas de besoin. Pour les étrangers, on a la chance d’avoir des gens qui s’impliquent dans l’accueil des nouveaux. Par exemple, Marko Panic a été encadré par Edin Basic et Damir Bicanic à son arrivée. Evidemment, c’est plus simple quand on a des gens qui sont capables de parler la langue du nouveau, mais cela se fait naturellement ici, on est tous là pour avancer dans le même sens et pas pour se tirer dans les pattes. Rares sont les recrues qui n’y arrivent pas à Chambéry, et c’est là une de nos plus gros réussites.
Crédit photo : Jean-Pierre Riboli / Laurent Théophile
article intéresant. Dommage que les questions ne soient pas un peu plus dérangeantes ! Exemple : pourquoi Guillaume Gille n'est-il pas resté alors qu'il devait intégrer le staff ?
Parce qu'il n'a jamais été question qu'il intègre le staff de Chambéry.
Ah bon ? Il faut relire les commentaires produits lors de son arrivée (son retour) à Chambéry !