Norvège
T.Hergeirsson : "Le collectif doit toujours passer en premier" (2/2)
Élu meilleur entraîneur du monde 2016, Þórir (Thorir) Hergeirsson, l’entraîneur islandais de la sélection nationale norvégienne, a accordé une interview exclusive à Handnews.fr. Dans cet échange fleuve, le technicien de 52 ans évoque toute la manière de fonctionner son parcours, ses liens avec ses racines islandaises et la mentalité norvégienne. Voici la seconde partie de cette interview.
HN : Quel est votre avis sur le championnat norvégien féminin? Ne pensez vous pas que, sur le long terme, avoir Larvik qui domine la compétition sans partage chaque année pourrait se révéler être un problème?T.H. : Depuis 20 ans, ce n'est pas un problème. Non, je crois que, aujourd'hui, le vrai problème est que Larvik a des difficultés financères et va perdre plusieurs très bonnes joueuses à l'inter-saison. Je trouve ça beaucoup plus dommageables que le fait que Larvik soit la meilleure équipe de Norvège. Pourquoi? Car c'est un club qui a de hautes ambitions, qui joue la Ligue des Champions tous les ans, qui offre de bons challenges aux joueuses de l'équipe national... Je peux comprendre que ce n'est pas forcément génial pour le suspense de notre championnat mais, vous savez, en Norvège, nous avons plusieurs petits clubs où des jeunes joueuses peuvent évoluer et bien progresser. Là-bas, elles sont des joueuses clés de leur équipe et apprennent beaucoup. C'est important pour elles d'être des pièces majeures de leur équipe respective en étant jeune. Et, par la suite, lorsqu'elles sont devenues meilleures, elles ont le choix entre partir à Larvik et jouer la Ligue des Champions ou partir à l'étranger et également la jouer. Tout ce système est bénéfique pour l'équipe nationale qui se retrouve avec trois types de joueuses : les jeunes qui ont des rôles clés dans leurs "petits" clubs en Norvège, les joueuses majeures de Larvik et d'autres filles qui jouent dans les meilleures clubs d'Europe. Tout cela amène une émulation très intéressante en sélection.
HN : Cela signifie que, pour vous, avoir neuf de vos joueuses évoluant à l'étranger n'est pas un problème ?T.H. : Non, ça n'en est pas un ! A Paris, par exemple, Stine Oftedal a pu s'améliorer sur plusieurs saisons. C'était le genre de club dont elle avait besoin pour un temps donné. Mais, désormais, elle a besoin de se lancer un challenge encore plus gros. Il ne faut jamais oublier : nous pensons toujours au développement des joueuses. Bien sûr, elle aurait aussi pu évoluer dans un club norvégien, à Larvik par exemple. Mais, de toute façon, chaque joueuse doit savoir que, lorsqu'elle aspire à devenir une joueuse clé de la sélection nationale, elle doit jouer en Ligue des Champions avec son club ou, au minimum, en Coupe d'Europe.
HN : Et que pensez-vous du championnat français?T.H. : On a vu beaucoup de matchs avec des équipes françaises ces derniers temps. Je crois que le championnat français s'est bien développé depuis plusieurs années et est désormais plus relevé avec de meilleures joueuses. Les clubs ont également de meilleurs résultats en coupes d'Europe. Donc, clairement, le handball féminin français grandit. Et il ne faut pas oublier que lorsqu'un championnat s'améliore comme en France, c'est également bénéfique pour tout le handball international. Mais j'espère que les clubs français vont réussir à suivre financièrement parcequ'on sait que, lorsque vous avez des ambitions élevées et que vous voulez être parmi les meilleurs d'Europe, cela coûte très cher. C'est donc difficile de rivaliser avec des clubs comme Györ, par exemple, qui a énormément d'argent. Larvik a essayé, pour un temps, mais s'est désormais rendu compte que ce n'était pas possible de rivaliser sur ce terrain là. Ils doivent trouver une autre façon de rivaliser, se créer leur propre manière.
HN : Pour conclure, nous savons que vous n'aimez pas forcément parler à propos de vous... Pourtant, nous avons quand même lu dans une interview que les gens disent de vous que vous avez un bon sens de l'humour... T.H. : (Il coupe) J'aime bien pensé que j'en ai un, c'est vrai ! HN : Et les gens disent aussi que vous êtes un gros bosseur. Êtes-vous d’accord avec ces deux traits de personnalités ?T.H. : Je n'ai aucun problème à rire de moi-même avec d'autres personnes. Ce n'est pas un problème car j'ai grandi avec cette culture. En Islande, il faut toujours regarder les choses du bon côté. Nous sommes issus d'un petit pays et nous ne sommes pas beaucoup. Nous savons que nous devons travailler dur et que nous devons bosser ensemble. Et si on y arrive, on peut battre tout le monde. Le handball se joue à 7 contre 7. Un match Russie - Islande ne se joue pas avec des millions de personnes contre 300 000. C'est toujours 7 contre 7. Ce qui veut dire qu'un pays comme l'Islande n'a pas besoin de plus de 16 joueurs pour former une bonne équipe. C'est même plus simple pour nous de trouver des bons joueurs plutôt que pour un pays qui a des millions d'habitants car, dans notre cas, nous pouvons mieux suivre et voir l'évolution de chacun d'entre eux.
D'autre part, il est vrai que ma culture est aussi basée sur le fait de travailler dur. Les Islandais vivent dans des conditions parfois difficiles et tous savent que, pour parvenir à leurs fins, il faut être à 200%. Je retrouve cette culture chez mes joueuses en équipe nationale norvégienne : travailler dur, essayer de devenir toujours meilleure jour après jour. C'est la clé pour être capable de de décrocher des bons résultats.
HN : Et désormais, l'Islande n'est plus uniquement forte en handball, elle l'est aussi en foot...T.H. : Ces succès montrent que tout est possible en sport collectif. La meilleure équipe n'est pas celle qui aligne tous les meilleurs joueurs : si vous prenez les 16 meilleurs joueurs du monde et que vous essayez de les faire jouer ensemble, cela ne va pas forcément vous donner le meilleur collectif. Avoir trop de stars dans une équipe peut même devenir un problème car parfois ces stars peuvent devenir plus importantes que l'équipe elle-même. Et c'est ce qu'on refuse dans notre philosophie : le collectif doit toujours passer en premier.
L'équipe, en elle-même, va subsister pour toujours. Mais un entraîneur arrive sur le banc, repart, puis un autre arrive et ainsi de suite. C'est la même chose pour les joueurs : ils arrivent, puis changent de club, puis prennent leur retraite... avant que d'autres arrivent. C'est pour ça que cette façon de penser est importante. Personne dans notre équipe, Nora Mork, Heidi Loke, Kari Grimsbo ou moi-même, est plus important que le collectif. Nous sommes juste une partie de l'équipe. Tout le monde est important mais personne n'est plus important que le collectif. C'est notre philosophie.
Clément Domas et Maxime Cohen