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Le traumatisme de 2007, acte (re)fondateur des Experts
Battue par l’Allemagne en demi-finale du mondial 2007 à Cologne (32-31 après prolongations), la France avait eu le sentiment de s’être fait voler par un arbitrage partial. Douze ans plus tard, alors que les Bleus retrouvent les allemands ce soir dans « leur » mondial, le traumatisme est oublié. Il a même servi de catalyseur pour construire la domination française que l’on connaît depuis plus de dix ans.
Ce jeudi 1er février 2007, Claude Onesta ne le sait pas encore mais les arbitres suédois qui officiaient ce soir-là en demi-finale du mondial entre la France et l’Allemagne lui ont peut-être rendu, indirectement, le plus grand service de sa carrière de sélectionneur. Pourtant, peu de supporters français ou de joueurs présents dans ce qui s’appelait encore la KölnArena, rebaptisée depuis Lanxess Arena par les joies du naming, auraient pu s’imaginer que le traumatisme qu’ils venaient de vivre sous leurs yeux allait être le point de départ de leur écrasante domination à venir.
« C’est une mafia », lâche alors Claude Onesta
Au coude à coude pendant tout le match (21-21 à l'issue du temps réglementaire), français et allemands livrent un énorme combat à Cologne, devant un public totalement acquis aux locaux (19.000 spectateurs). Champions d’Europe en titre, les Bleus s’attendaient à une ambiance de feu et savaient qu’il leur faudrait hausser leur niveau de jeu comme jamais pour rejoindre la finale. A l’issue de la première prolongation, les coéquipiers d’Olivier Girault sont toujours dans le coup (27-27). L’atmosphère devient alors irrespirable lors de la seconde prolongation. Il reste 20 secondes à jouer, les allemands ont leur destin en main (32-31). Michaël Guigou intercepte alors le ballon dans un éclair de génie et s’en va tromper le gardien Henning Fritz. Les tirs aux buts semblent être le seul juge de paix entre les deux sélections. Les arbitres suédois, dont plusieurs décisions avaient déjà étonné un peu plus tôt, invalident le but de l’ailier gauche montpelliérain pour revenir à une faute préalable commise sur les français. "J'ai beaucoup repensé à ce but pendant un moment. Sur le coup, je ne comprends pas ce qu'il se passe, c'est quand ça redescend que tu te dis que les arbitres n'ont pas été corrects" se souvient Guigou. Dans la confusion la plus totale et des Bleus hors d’eux, l’Allemagne est en finale du championnat du monde qu’elle organise. A l’opposé, la France ne comprend pas cette ultime décision arbitrale qu’elle vit comme une terrible injustice.
« Nous ne sommes pas en finale à cause de décisions aberrantes et partisanes des arbitres qui ont fait basculer le résultat», écrit le lendemain la fédération française dans un communiqué. Les Bleus avaient déjà sorti le lance-flammes quelques heures plus tôt. « C’est une action malhonnête, juge Claude Onesta. C'est dommage de ne pas avoir pu défendre nos chances de manière équitable. Toutes les équipes depuis le début de la compétition qui ont joué contre l'Allemagne ont subi un sort de ce type-là. » Puis d’enfoncer le clou dans le quotidien « L’Equipe ». « Tout le monde sait que les Allemands tirent les ficelles à la Fédération internationale. Ils font partie de toutes les commissions. Ils dictent leur loi, imposent leurs vues. C’est une mafia. Bravo aux organisateurs, les salles sont pleines mais c’est un mondial qui a été organisé en Allemagne et pour l’Allemagne avec la complicité de la fédération internationale.»
« Le plus gros vol de l’histoire du hand » déclare alors Fernandez
Abattus après un combat épique, les joueurs sont également remontés comme jamais. Ils ont l’impression que le sort de cette demi-finale ne s’est pas joué à la régulière, victimes d’une grossière erreur d’arbitrage. « Il avait été décidé que l'Allemagne devait aller en finale, c'est fait », regrette Didier Dinart. « Je ne dis pas que le match est simple à siffler, c'est compliqué, mais malheureusement il y a vraiment des situations où ils décident du match et ça, ce n'est pas logique, analyse Guillaume Gille à chaud. On ne méritait pas de perdre cette demi-finale de la sorte. » Et d’ajouter au micro de France 3 : « C’est une décision idiote des arbitres. » Le mot « vol » est d’ailleurs utilisé par plusieurs joueurs. « On savait que ça allait être difficile au niveau de l'arbitrage, peut-être pas qu'on allait se faire voler sur une action comme ça à la fin » confie alors Michaël Guigou, héros malheureux des Bleus. Mais la déclaration la plus forte et qui fera date est celle de Jérôme Fernandez. « C'est le plus gros vol de l'histoire du handball international, peut-être même de l'histoire du sport, juge-t-il alors. Il n'y avait rien à faire, il fallait que l'Allemagne soit championne du monde. »
Si, sur le terrain, les débats font rage, quelques-uns des acteurs de ce nouveau France-Allemagne étaient déjà présents dans les tribunes à Cologne il y douze ans. Uwe Gensheimer était bien dans la préselection des 28 joueurs mais la compétition, il l'a en grande partie regardée à la télévision. Avant qu'un colloque d'entraineurs ne se déroule à Dormagen, non loin de là et que lui et ses coéquipiers de l'équipe nationale junior soient réquisitionnés pour servir de cobayes. "Il y avait aussi Martin Strobel et Steffen Weinhold. Bob Hanning a fait des pieds et des mains pour que nous puissions assister au match. On était assis juste derrière le but et on a absorbé cette atmosphère de folie. Rien que d'y penser, j'ai encore des frissons" se souvient l'ailier gauche du Paris Saint-Germain. Dormagen, c'est aussi là où entraine Pascal Mahé en 2007. Et quoi de plus normal que d'aller assister à la demi-finale du championnat du monde avec Kentin, le fiston, tout juste âgé de 16 ans ? "A l’époque, je supportais l’équipe de France en demi et par mes potes, ma culture allemande, j’étais amené à être pour l’Allemagne en finale. Je ne m’en cache pas. J’avais 16 ans, j’étais juste fan de hand et je ne comprenais pas ce que voulait dire cette rivalité entre les pays. Mon coeur était français, du fait de mon père mais j’avais pas encore joué en équipe de France. J’ai vécu cette demi-finale perdue, ça a été dur pour moi, beaucoup d’images sont restées. C’était une certaine souffrance."
« L’affaire » commence à prendre une ampleur rare pour un match de handball. Le magazine allemand Spiegel avait même été jusqu’à relayer que des membres de la délégation française s'en étaient pris à un arbitre en fin de soirée. « Une invention » avait alors démenti Philippe Bana, directeur technique national.
Un acte (re)fondateur pour les Bleus
Pourtant, avec le recul, cette élimination en demi-finale du mondial 2007 a marqué un point de rupture dans l’histoire de l’équipe de France. Cette défaite a finalement servi au groupe à construire ses succès futurs et à faire une véritable razzia sur la planète handball. Sans la déception majuscule de Cologne, les Bleus auraient-ils trouvé la rage de se remettre autant en question pour garnir leur armoire à trophées ? Avec un seul Euro à son palmarès, remporté un an plus tôt, Claude Onesta n’était pas encore le manager reconnu qu’il est devenu aujourd’hui. Il convoque son staff technique et demande de tout remettre en chantier.
« Le seul truc sur lequel on peut agir, c’est le jeu, la gestion, confiait-il il y a quelques années. Ça, ça nous appartient. L’arbitrage, les délégués, le public, on n’aura jamais de prise dessus : on a perdu et on a pas su gérer des éléments qui étaient à proximité de nous. Notre travail, c’est de faire en sorte que si notre jeu s’améliore et que notre équipe s’améliore, un jour elle le sera suffisamment pour ne plus subir ces environnements négatifs. » Le staff tricolore passe des heures à décortiquer le jeu des meilleures nations mondiales, pour y dénicher ce qui fait leur force et ce qui manque aux Bleus pour dominer le jeu à sept. Le jeu rapide, mis en place depuis, sera l’une des grandes réussites post-Cologne 2007. « On a revu tout notre jeu car on s’est rendu compte que nous faisions n’importe quoi » analysait avec le recul Sylvain Nouet, alors adjoint d’Onesta, dans le livre « La Grande Saga du hand français » (Hugo Sport) de Laurent Moisset. "On a réduit le nombre de combinaisons, par exemple, on a simplifié notre jeu. On a gagné en précision. Moins mais mieux, ça a été notre leitmotiv" explique aujourd'hui Jérôme Fernandez.
"On s’est abrité derrière ce scandale pendant un bon mois, pleurant, n’allant pas chercher en nous les raisons de l’échec, écrit Philippe Bana dans le livre « Le Roman du hand tricolore » qu’il a rédigé avec Mickaël Caron (Edition Marabout). Il était plus facile d’accuser les autres. La stupeur passée, on s’est mis à gratter un peu le vernis de l’arbitrage. Au fond, depuis le début de cette compétition, j’avais eu le sentiment que tout n’était pas en place. Si l’équipe de France allait tout renverser sur son passage à partir des Jeux de Pékin, dix-huit mois plus tard, c’est grâce à la souffrance vécue en 2007, puis au travail accumulé entre ces deux compétitions." Quatre titres mondiaux (2009, 2011, 2015, 2017), deux titres olympiques (2008, 2012) et deux Euros (2010, 2014) allaient ensuite être remportés par la France suite à l’acte (re)fondateur de Cologne. "C'est un échec sur lequel on a su rebondir et qui nous a permis d'aller gagner les JO l'année d'après, mais aussi en Croatie, en Suède, au Qatar..." ajoute Guigou.
Seuls Nikola Karabatic, Luc Abalo, et Michaël Guigou, qui étaient déjà en Bleus en 2007, sont encore dans le groupe France en Allemagne cette année. Si la rencontre de ce soir ne revêt pas le même enjeu que celle d’il y a douze ans, nul doute que la France aura à cœur d’effacer définitivement les souvenirs obscurs de ce 1er février 2007.
Olivier Poignard (avec Kevin Domas)