LBE - Coronavirus
Quelles conséquences économiques et sportives ?
Depuis le 12 mars dernier, l'ensemble des championnats de handball sont en suspens. Hier, la FFHB a acté l'arrêt définitif de tous les championnats amateurs et l'annulation de la Coupe de France. Mais tout reste à décider pour les compétitions professionnelles. Après treize jours d'arrêt, premier point sur les conséquences économiques et sportives de cette épidémie pour les clubs de la Ligue Butagaz Energie.
Le scénario a été le même dans tous les clubs du championnat. Jeudi 12 mars, l'entraînement de l'après-midi se termine et toutes sont prêtes à se retrouver le lendemain, à la salle pour les unes, à l'aéroport ou dans le bus pour les autres, avant leur match du week-end. Puis l'annonce tombe : toutes les rencontres sont annulées.
"Nous avons mis les filles en chômage partiel dès le lendemain de cette annonce, retrace Anthony Grandclément, manager général de Bourg de Péage. Pour une durée indéterminée, forcément." Comme dans beaucoup d'entreprises françaises, les clubs de handball ont eu la possibilité d'utiliser cette mesure et ainsi réduire leurs dépenses. Leurs employés sont donc payés 84% de leur salaire net. Certaines directions de club, comme à Bourg de Péage, ont cependant choisi de garantir la totalité des émoluments à leurs joueuses en apportant un complément de salaire et ainsi leur garantir 100% de leurs émoluments.
"Depuis, on a demandé aux filles de respecter scrupuleusement le confinement, de faire attention aux gestes barrières et, surtout, de s'informer tous les jours, complète Jean-Luc Le Gall, manager général de Brest. Car la vérité d'aujourd'hui n'est pas forcément celle de demain."
Si la plupart des joueuses de Brest est restée sur la rade, beaucoup d'autres clubs ont vu leurs joueuses rentrer en famille. "Seule Olga Perederiy est encore à Metz car l'Ukraine a très vite fermé ses frontières, précise Thierry Weizman, le président messin. Sinon, toutes les joueuses sont rentrées chez elles."
Des pertes financières colossales
Peu après l'annonce de l'arrêt du championnat, tous les clubs ont dressé un bilan prévisionnel de leurs pertes financières en cas d'arrêt de toutes les compétitions. Chacun a envoyé à la CNCG et à l'EHF, pour les clubs européens, leurs calculs les plus détaillés. "Si nous devions faire une croix sur nos cinq derniers matchs, les pertes s'élèveraient à 110 000€ minimum", avance Anthony Grandclément, le Péageois. Billetterie, buvette, partenaires... L'addition grimpe vite dans tous les clubs.
"En cas d'élimination en quart de finale de Ligue des Champions, le club perdrait 350 000€ minimum, avance pour sa part Jean-Luc Le Gall, manager général de Brest. Mais en cas de Final Four, le trou atteindrait 550 000€ ... en cas de quatrième place ! Et beaucoup plus si nous avions terminé plus haut."
Car la saison s'arrête au pire moment pour les clubs féminins : dès le mois d'avril, les enjeux sportifs sont décuplés dans toutes les compétitions, l'occasion d'augmenter les recettes avant l'été. "Nous avons chiffré nos pertes à 150 000€ minimum, regrette Thierry Weizman, le président messin. Pour nous, le coup est très dur : notre quart de finale de Ligue des Champions, par exemple, non compris dans l'abonnement de nos supporters nous donne l'opportunité de pratiquer des tarifs un peu plus élevés que la normale. Ce match est aussi l'occasion d'un parrainage d'un partenaire... Il faut aussi compter l'éventualité d'un remboursement partiel des abonnements, d'un remboursement auprès de nos partenaires... Ces dégâts collatéraux sont majeurs. J'ai très peur pour l'avenir."
Le soutien des partenaires privés : la grande crainte
Pour l'ensemble des clubs se pose aujourd'hui un problème majeur : comment vont réagir les sponsors face à cette crise sans précédent ? Cette année et d'après les chiffres publiés par la LBE en début de saison, le budget cumulé des clubs de l'élite atteignait 24 millions d'euros, dont 10 de partenariats privés, 9 de subventions publiques et 6 de billetterie et autres recettes. Cette saison, les partenaires privés avaient une place cinq fois plus importante que la saison 2018/2019. Une part colossale faire fonctionner toute l'économie du handball féminin.
Pour le Brest Bretagne Handball, le soutien des sponsors privés représente 93% du budget de 6 millions d'euros prévu pour l'exercice 2019/2020, dont au moins 70% de sponsors. "Nous travaillons avec 500 partenaires privés, explique Jean-Luc Le Gall, le manager général du BBH. Nous craignons que le coup économique se répercute dès la saison prochaine car une fois la crise terminée, tout le monde sera comme nous : l'économie de sa propre entreprise avant tout," ajoute Le Gall.
Il poursuit : "Le plus gros du travail de notre cellule commerciale se déroule de début avril jusqu'à début juillet. Nous savons d'ores et déjà que nous ne pourrons pas démarcher les entreprises avant début mai, au mieux. Il va falloir, encore une fois, se renouveler pour séduire. Il y aura un avant et un après Covid-19."
Dans une structure plus petite comme à Bourg de Péage, le discours est identique. Pour le club drômois, le soutien de 250 partenaires privés représente 1 million d'euros, un ratio énorme sur les 1.6 million d'euros de budget annuel, le septième de Ligue Butagaz Energie. "Si on devait perdre 10 à 15% de nos subventions privées, ce serait dramatique, craint Anthony Grandclément. Mais dans un mois et demi, toutes les entreprises auront autre chose à penser qu'à soutenir leur club de handball de cœur..." Enfin, les mécénats, qui permettent aux entreprises de verser un don sous forme d'aide financière en échange d'une réduction fiscale devraient également baisser, crise économique oblige.
A Metz Handball, 40% des financements se trouvent dans les pouvoirs publics. Et là aussi, les craintes sont réelles. "Comment peut-on savoir quelles vont êtres les priorités pour les collectivités après une telle crise ? s'interroge Thierry Weizman. De plus, les élections municipales ne sont pas terminées et dans les grandes villes comme Metz, il y aura un deuxième tour. Les réunions pour l'octroi de certains budgets n'auront pas lieu avant juin. Je crains pour le secteur des sports et de la culture en général..."
Reprendre ou ne pas reprendre le championnat ?
Aujourd'hui, se pose alors la question de la reprise du championnat. Tous s'accordent sur un point : l'inutilité de jouer la fin de la compétition à huit-clos. Légalement, l'ensemble des joueuses est encore sous contrat jusqu'au 30 juin, dans tous les clubs. "S'il faut jouer jusqu'à cette date, on le fera, avance Thierry Weizman. Sportivement pour Metz, ce serait un crève-cœur de ne pas jouer cette fin de saison passionnante avec, en plus, des adieux émouvants programmés pour plusieurs de nos joueuses. Je pense qu'il sera possible d'aller au terme de ce championnat."
"D'un point de vue économique, le mieux serait de reprendre le championnat mais si on regarde le sportif..., nuance Anthony Grandclément. Pour les joueuses, si le championnat reprend, ça signifie qu'il faut refaire une préparation physique de quatre semaines, pour rejouer un petit nombre de matchs et ensuite partir en vacances... Est-ce que ça vaut vraiment le coup ?"
Une vision similaire du côté de Chambray : "On a envie de reprendre, mais c'est de plus en plus difficile à envisager, note Guillaume Marquès, manager général du club dans les colonnes de La Nouvelle République. Parce qu'il ne faut pas que ça se fasse dans n'importe quelles conditions, que ce soit d'un point de vue sanitaire ou de celui de la préparation des joueuses."
En Bretagne, alors que le club vivait une saison historique et pouvait encore prétendre à trois trophées, la tête n'est pas à la reprise. "On a eu un salarié touché par le Covid-19, rappelle Jean-Luc Le Gall. Je peux vous dire que l'ensemble du club était très inquiet. Aujourd'hui, la principale préoccupation, c'est la santé, ensuite, redémarrer l'économie du club et, en troisième lieu, le sportif... Mais c'est tellement loin." Et ajoute : "Si jamais on reprenait, je pense que nous inviterions un maximum de personnel hospitalier pour nos derniers matchs. Là, ça aurait du sens !"
Encore aujourd'hui, plusieurs scénarios sont envisagés : l'année blanche sans montée ni descente, le gel du classement avec prise en compte des classements actuels soit la descente de Mérignac en D2F et la montée de Saint-Amand-lès-Eaux en LBE ou, troisième hypothèse, un passage à 14 clubs dans l'élite dès l'an prochain. "Pour moi, c'est une mauvaise solution, souffle Thierry Weizman. Il est fort probable que l'ensemble des clubs aura moins d'argent l'année prochaine. Alors, quel intérêt à demander à tous d'ajouter deux déplacements supplémentaires et donc d'augmenter les frais ? Une telle décision pourrait mettre en péril l'économie de certains clubs." Dans la Drôme, la crainte est similaire : "sur le papier, je trouve qu'une ligue à 14 n'est pas une mauvaise idée car nous travaillons en ce sens depuis un moment mais il ne faut surtout pas le faire pour de mauvaises raisons, avance Anthony Grandclément. Au vue de la conjoncture économique, il faut veiller à ne mettre aucune économie de club en péril." Réponse de la Fédération attendue dans les prochains jours.
Clément Domas