Entretien
Dika Mem : "Personne ne gagne du jour au lendemain, même quand on s’appelle l’équipe de France"

On ne le présente plus : capitaine du FC Barcelone et pilier de l'équipe de France de handball avec 103 sélections sous le maillot bleu, Dika Mem est un joueur capable de faire basculer un match à lui seul. Cinq semaines après la troisième place décrochée lors du mondial, Dika Mem nous a accordé un entretien pour Handnews. Pour la première fois, l'arrière droit a pris le temps de retracer sa carrière, de revenir sur l'année 2024, qu'il qualifie comme "l'année la plus compliquée émotionnellement", d'évoquer le renouvellement de génération en bleu ainsi que le décès de sa petite soeur.
L’international français a découvert le handball à 12 ans, et depuis, ce jeu ne l’a plus jamais quitté. Arrivé en 2015 dans le prestigieux club des Blaugranas, Dika Mem s’est rapidement imposé comme un pilier de l’effectif. À en croire sa longévité au sein du club catalan, on pourrait penser qu’il est tombé sous le charme de l’architecte Antoni Gaudí et de ses monuments emblématiques, comme la Sagrada Família.
Au fil du temps, Dika Mem est lui-même devenu l’architecte du FC Barcelone. Si le club de football a eu Lionel Messi comme maître d’œuvre pendant 17 ans, son équipe de handball peut compter sur Dika Mem depuis 9 ans déjà, et ce, au moins jusqu’en 2027. À l’image de Gaudí qui a façonné Barcelone, Mem continue de dessiner l’histoire du club.
Assis confortablement dans son fauteuil, juste au-dessus du cadre où le maillot de l'un de ses modèles, Nikola Karabatic, est minutieusement exposé, Dika Mem s'est livré sans langue de bois durant trois quarts d'heure, vendredi après-midi, avant de s'envoler vers Paris pour retrouver la maison du handball.
Handnews : Comment analyses-tu ta progression depuis tes débuts en 2015 dans le monde professionnel ?
Dika Mem : Forcément, c’est une belle ascension, je viens de très loin. J’ai commencé le handball assez tard, ce n’était pas quelque chose de prévu dans le sens où je ne comptais pas forcément en faire quand j’étais plus jeune. Mais au fil du temps, j’ai beaucoup progressé. Très tôt, on m’a expliqué que j’avais l’opportunité de faire quelque chose dans le handball si je restais sérieux et appliqué.
Je ne suis plus au début de ma carrière, je n’ai plus le statut de jeune joueur en apprentissage, mais malgré tout, j’ai encore une belle marge de progression. Quand je prends du recul sur ce que j’ai accompli jusqu’à présent, il y a de quoi être fier. Mais je garde en tête que j’ai encore de gros objectifs et je sais que je peux aller chercher encore plus, donc il faut continuer à travailler.
HN : Quels souvenirs gardes-tu du pôle espoir à Saint-Gratien Sannois Handball ?
DM : Je suis arrivé avec un an d’avance (il est arrivé à l’âge de 14 ans). C’était ma deuxième année de handball, avec la génération 96. La première année, j’étais externe. Franchement, c’était une super expérience, c’est là que j’ai fait mes gammes avec tous les entraîneurs sur place. J’ai encore quelques contacts là-bas, et quand j’ai le temps, je passe dire bonjour au pôle. La deuxième année a été un peu plus difficile car j’étais interne. J’avais parfois plus d’entraînements, mais ça m’a forgé pour la suite de ma carrière professionnelle.
HN : Partir en Espagne à l’âge de 19 ans, dans l’un des meilleurs clubs du monde, c’était selon toi un risque ou une opportunité ?
DM : Pour moi, c’était clairement une opportunité. Même si certains ne comprenaient pas forcément ce choix, notamment mes entraîneurs à Tremblay, qui trouvaient ça risqué vu que je rejoignais l’un des plus grands clubs du monde. Mais dans ma tête, c’était très clair. Au pire des cas, j’avais signé un contrat de six ans, donc si à 25 ans je n’avais pas eu de temps de jeu, je serais parti du Barça, mais avec six ans d’expérience dans l’un des plus grands clubs. C’était mon plan B si ça ne fonctionnait pas.
HN : Tu arrives en juillet 2016 au Barça. Après ton arrivée, vous enchaînez 8 titres de champions d’Espagne (de 2017 à 2024) et 3 Ligues des champions (2021, 2022, 2024). Comment expliques-tu cette suprématie ?
DM : Pour être honnête, le championnat espagnol, même s’il évolue depuis que je suis arrivé, reste en dessous du niveau du championnat français ou allemand. Les équipes jouent bien, et on voit parfois sur la scène européenne qu’elles posent des problèmes aux clubs français, danois ou allemands, mais c’est sur la durée que ça coince. Avant, c’était un gros championnat, mais il y a eu une crise financière en Espagne qui a fait que beaucoup de clubs ont perdu des moyens et des joueurs. Le FC Barcelone, lui, a su se maintenir car c’est avant tout un club de foot, avec un budget largement supérieur aux autres. Pour nous, gagner le championnat, entre guillemets, c’est notre devoir. Mais le gagner avec la manière, c’est autre chose.
La discipline qu’on s’impose en championnat nous permet de gagner des titres également au niveau européen, comme en Ligue des champions. Depuis mon arrivée, on n’a manqué qu’un seul Final Four. Le club avait déjà cette constance avant moi, et il l’aura encore après moi.
HN : Tu pourrais potentiellement retrouver le PSG en ¼ de finale de la Ligue des Champions, si le club de la capitale parvient à battre Szeged. Des retrouvailles toujours particulières ?
DM : Forcément, c’est quelque chose que j’ai suivi d’un œil attentif. Si on est amenés à jouer contre le PSG, ce sera l’occasion de rejouer en France, et ça me fait toujours quelque chose. Paris, c’est un club spécial pour moi, car je viens de là-bas et j’y ai pas mal d’amis. Mais avant de parler de retrouvailles, il faut d’abord que le PSG gagne son huitième de finale.

HN : Jouer dans un club qui rayonne d’abord par son équipe de football sur la scène internationale est-il un avantage pour vous ou parfois une source de dépendance ?
DM : On le ressent tous les jours. Si le football n’est pas performant, ça nous impacte forcément, notamment sur le plan financier. Par exemple, pendant la période du Covid, il y a eu de gros problèmes liés aux fonds du club. Aujourd’hui, il faut être honnête : si les sections handball ou basket existent, c’est grâce au football. Le handball n’est clairement pas le sport numéro un ici, et on en est conscients.
HN : Comment se passe ta vie en Espagne depuis 9 ans ?
DM : Je me sens très bien ici, c’est comme à la maison. Au final, j’ai grandi ici et je parle espagnol couramment. Barcelone est une ville magnifique, et je pense qu’il y a énormément de gens qui aimeraient être dans ce club, non seulement pour ce qu’il représente sportivement, mais aussi pour la qualité de vie qu’offre la ville. Il ne faut pas négliger l’aspect extra-sportif, et ici, on a vraiment un cadre de vie exceptionnel.
HN : Quel regard portes-tu sur la progression de Petar Cikusa (2005), qui ne cesse de progresser depuis le début de l'année au sein de l'effectif blaugrana ?
DM : C’est un très bon joueur, encore très jeune, avec énormément de potentiel. Mais il faut le laisser grandir et éviter de lui mettre trop de pression. Même si je ne suis pas espagnol comme lui, je suis aussi passé par là, dans un grand club où l’on peut parfois mettre une pression. Pour moi, il deviendra un très grand joueur s’il continue à travailler sérieusement et à se donner les moyens d’y arriver.
Dika Mem - Crédits : Icon sport
L'année 2024 a été marquée par de belles réussites sportives pour Dika Mem, mais aussi par un drame avec le décès de sa petite sœur Olivia, disparue à seulement 17 ans des suites d'une grave maladie. Cette épreuve dans sa carrière lui a permis d'avancer dans la vie et de relativiser par rapport au handball comme il l'évoque.
HN : Sur le plan personnel, l’année 2024 a-t-elle été la plus difficile émotionnellement avec des victoires (LDC, championnat, Euro) mais aussi une grosse désillusion avec les JO et surtout le décès de ta petite sœur âgée de 17 ans.
DM : Oui, on peut le dire, c’était clairement l’année la plus dure pour moi sur le plan émotionnel. Il y a eu des hauts et des bas, mais surtout quelque chose de bien plus important que tout le reste : le décès de ma petite sœur. C’est certain que ça a été très compliqué à vivre, mais ça m’a aussi permis d’apprendre et de relativiser. Le handball, c’est important, on est des compétiteurs et on a tous envie de gagner, d’être les meilleurs, mais la vraie vie ne se résume pas au sport. Ce moment m’a fait grandir et avancer dans l’humilité.
Il n'a pas hésité à revenir sur le Mondial et le renouvellement de génération en équipe de France, lui qui espère rapidement retrouver le goût des médailles d'or.
HN : Avec cinq semaines de recul, quelle est ton analyse de ce Mondial où vous avez raté la première mi-temps de la demi-finale face à la Croatie, mais où vous avez montré du caractère en obtenant la médaille de bronze contre le Portugal ?
DM : Je n’ai pas envie de réduire notre compétition à cette mi-temps ratée, car avant cela, on a gagné des matchs avec la manière. Le match pour la troisième place était dur à jouer, face à une équipe jeune et ambitieuse qui n’avait encore rien gagné et qui voulait repartir avec une médaille. Après clairement, ce n’est pas la place qu’on visait, on voulait l’or.
On va se retrouver pour la première fois depuis le Mondial pour disputer deux matchs contre le Danemark, et on va continuer à progresser. Personne ne gagne du jour au lendemain, même quand on s’appelle l’équipe de France. À la fin de la compétition, j’ai dit aux gars que c’était une étape et qu’il fallait s’en servir pour aller chercher l’or. Ce n’est pas parce qu’on est l’équipe de France qu’on va toujours gagner. Il faut rester humbles et respecter les autres nations qui travaillent très bien.
HN : Selon toi, ce renouvellement de génération après les JO était-il nécessaire ?
DM : Certaines grandes figures sont parties, mais ce renouvellement était attendu et logique. Ça se passe comme ça dans toutes les nations. Aujourd’hui, c’est cette génération qui est aux commandes, demain ce sera une autre. L’équipe de France n’appartient à personne. Même le meilleur joueur de l’histoire du handball, Nikola Karabatic, est parti à la retraite, et pourtant l’équipe continue d’avancer. On est tous de passage.
HN : On a l’impression que cette nouvelle génération est consciente du passé glorieux des Bleus mais qu’elle veut aussi écrire sa propre histoire.
DM : Oui, bien sûr, et c’est une bonne chose de sentir cette envie chez les jeunes. L’équipe de France a un palmarès impressionnant, mais aujourd’hui, on veut écrire une nouvelle page. Quand ce sera terminé, on se retournera pour voir si on a réussi à gagner des titres. Les 4 ou 5 prochaines années vont être intéressantes, car il y a de grosses nations très compétitives. Tout le monde est motivé et prêt à relever les défis.
HN : Noah Gaudin (25 ans), fils du double champion du monde Christian Gaudin, vient d’être appelé pour la première fois en équipe de France pour pallier la blessure de Aymeric Minne. Quel regard portes-tu sur ce joueur, qui est en pleine forme au Danemark avec son club de Skjern HB ?
DM : Je le connais bien, car c’est un ami de très bons amis à moi. Il continue de progresser au Danemark, et c’est mérité pour lui d’être appelé. Certes, il y a beaucoup de concurrence à son poste, mais il a une opportunité à saisir et il faut qu’il en profite à fond.

Il était important de revenir avec lui sur la question de la santé mentale des joueurs, lui qui a été la cible de nombreuses insultes sur les réseaux sociaux après sa passe ratée en quart de finale des JO de Paris face à l'Allemagne.
HN : De plus en plus de sportifs de haut niveau n’hésitent pas à parler de leur santé mentale. Penses-tu qu’on a franchi un cap à ce sujet ?
DM : Je pense que c’est la société en général qui a évolué. Avant, quelqu’un qui en parlait pouvait se sentir jugé. Aujourd’hui, c’est important de pouvoir échanger avec des psychologues ou des préparateurs mentaux. Personnellement, j’y ai eu recours il y a 4 ou 5 ans, et même aujourd’hui, il m’arrive d’envoyer un message à cette personne pour demander des conseils ou me confier sur certains sujets. Si tu n’es pas bien mentalement, c’est très difficile d’être performant. C’est bien qu’on en parle, car ça donne aux générations futures une clé supplémentaire pour réussir au plus haut niveau.
HN : Quand on a tout gagné en club et en sélection comme toi, comment la motivation reste-t-elle intacte malgré les titres accumulés ?
DM : Pour être honnête, tu n’es pas motivé toute l’année, mais il faut savoir ce que tu veux vraiment. Moi, je sais où je veux aller, je sais comment je veux terminer mon parcours. Parfois, c’est difficile de se lever pour aller à l’entraînement, mais il faut le faire. Pour moi, c’est une question de discipline. La motivation, elle fluctue, elle va et vient, mais la discipline te rappelle pourquoi tu fais tout ça et ce que tu veux accomplir dans le handball.
Tu ne peux pas tricher avec le haut niveau. Quand tu te donnes à fond sur le terrain, que tu gagnes ou que tu perdes, tu sais que tu as tout fait pour aider ton équipe à l’emporter. Il faut toujours tout donner pour ne rien regretter ensuite.
HN : Tu es sous contrat avec Barcelone jusqu’en 2027, comment envisages-tu la suite ? Un retour en France est-il envisageable ?
DM : Je suis ouvert à toute discussion. Je me sens très bien ici, mais je peux aussi décider de changer d’air. Revenir en France peut être une option, avec l’envie d’essayer de gagner un championnat français, une Coupe de France ou un Trophée des Champions. Pour l’instant, je suis à Barcelone.
HN : Pour conclure, quel a été le moment le plus marquant de ta carrière jusqu'à présent ?
DM : Les Jeux Olympiques, c’est sûr. Mais il y a aussi la victoire en Ligue des Champions avec le Barça l’année dernière, après le décès de ma petite sœur. C’était un moment très fort et très symbolique pour moi.
À 27 ans, Dika Mem s'autorise à jeter un regard en arrière, mais il souhaite encore accomplir de grandes choses avec le maillot de l'équipe de France et du FC Barcelone. Conscient que le handball reste avant tout un moment de plaisir, il espère marquer de son empreinte ce jeu qu'il décrit si bien, afin qu'à la fin, il puisse partir l'esprit libéré, avec la certitude d'avoir tout donné.
Félix Landais