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Les entraîneurs espagnols maîtres du monde ?
Avec huit entraîneurs espagnols actuellement à la tête de sélections nationales dont sept à l'étranger, le handball ibérique domine, au moins quantitativement, les bancs des compétitions internationales. Quelles qualités les techniciens espagnols ont-ils par rapport aux autres nations ? Comment le handball français se situe-t-il sur le marché des entraîneurs ? Handnews fait le point sur le sujet.
C’est un véritable paradoxe pour le handball espagnol. Touchée de plein fouet par la crise économique, avec notamment la disparition de l’Atlético Madrid et de fortes baisses de budget des clubs d’Asobal, absente des derniers Jeux Olympiques à Rio et battue en quarts de finale par la Croatie (29-30) lors du dernier mondial, l’Espagne affiche une santé éclatante concernant la présence de ses entraîneurs à l’étranger. Outre Jordi Ribera, qui a pris en main la sélection espagnole après avoir dirigé le Brésil, sept de ses compatriotes sont actuellement en poste à la tête de sélections étrangères : Manolo Cadenas avec l’Argentine, Mateo Garralda avec le Chili (photo), Valero Rivera avec le Qatar, Xavier Sabate avec la Hongrie, Xavi Pascual avec la Roumanie, Raul Gonzalez avec la Macédoine et Javier Garcia Cuesta avec les Etats-Unis. La présence de techniciens espagnols était même encore plus forte il y a quelques semaines avec Talant Dujshebaev sur le banc de la Pologne et Antonio Ortega sur celui du Japon.
Valero Rivera a lancé la tendance
« Les entraîneurs espagnols ont très bien travaillé avec des équipe européennes, rappelle Toni Garcia qui avait tenté l’aventure à l’étranger, sur le banc du Fenix en 2014-2015. Ces bons résultats ont attiré l’attention des fédérations étrangères, qui ont confiance dans leur façon d’entraîner et le changement qu’ils peuvent ainsi générer en équipe nationale. » Pour Dragan Zovko (dont vous pourrez retrouver une longue analyse sur le sujet demain sur notre site), un homme a changé la perception des entraîneurs espagnols à l’étranger : Valero Rivera. Fort de ses six Ligues des Champions en tant qu’entraîneur de Barcelone ou encore d’un titre mondial avec les Hispanos en 2013, il est l’un des techniciens les plus réputés de la planète handball. Son arrivée sur le banc du Qatar en 2013, qu’il a métamorphosé pour devenir vice-champion du monde deux ans plus tard, a eu un impact énorme sur l’image des entraîneurs ibériques. « C’est un phénomène de mode qui s’est fortement amplifié depuis le mondial en Espagne en 2013 puis l’arrivée de Valero Rivera sur le banc du Qatar, estime Dragan Zovko. Rivera est une autorité indiscutable dans le monde du handball. Il est respecté et consulté. L’expansion des sélectionneurs espagnols commence en effet avec lui. »
Outre le succès de la méthode Rivera, quel est le secret des entraîneurs espagnols ? Devenu adjoint de Jordi Ribera avec la sélection espagnole, Toni Garcia juge les qualités d’adaptation à des environnements différents comme une force de ses compatriotes. « Ce qui fait peut-être la différence avec les entraîneurs étrangers, c’est que le technicien espagnol s’adapte très bien aux différents types de joueurs qu’il a dans son équipe, développe-t-il. Il arrive à obtenir le meilleur de son groupe pour ensuite créer un système et un modèle de jeu. » L’ancien entraîneur de Toulouse estime qu’il est trop réducteur de résumer les entraîneurs espagnols à des experts de la tactique, une qualité qui est souvent mise en avant sur la scène internationale. « Je crois que les entraîneurs des autres pays sont également très bien formés sur ce plan-là » confie-t-il.
Les entraîneurs français, (trop) rares à l’étranger
Si les espagnols, qui n’ont remporté qu’à une seule reprise le titre de meilleur entraîneur de l’année IHF en 2012 avec Valero Rivera, sont présents sur les bancs d’Amérique Latine au Moyen Orient en passant par l’Europe de l’Est et l’Amérique du Nord, les techniciens français ne peuvent pas en dire autant. Outre le duo Dinart – Gille à la tête des Bleus, les tricolores qui dirigent des sélections étrangères masculines se comptent sur les doigts de la main : Yérime Sylla avec la Belgique, Jackson Richardson depuis quelques semaines avec le Gabon et Kevin Decaux avec la Guinée. A titre de comparaison, l’Islande fait aussi bien avec Geir Sveinsson à la tête de sa sélection nationale, ainsi que Kristjan Andresson avec la Suède, Dagur Sigurdsson avec le Japon et Gudmundur Gudmundsson avec le Bahreïn. « Peut-être que les français ne veulent pas entraîner des équipes nationales à l’étranger, lance Toni Garcia. Je suis sûr que certains d’entre eux ont eu la possibilité de prendre en main une équipe étrangère. J’ai pu me rendre compte lors de ma saison à Toulouse que la France compte de très bons entraîneurs, qui sont de vrais professionnels. J’ai beaucoup appris d’eux, notamment sur la façon dont votre fédération et votre ligue sont organisées. C’est quelque chose de fantastique. »
La France moins présente en Afrique
Si, par le passé, la France a été très présente en Afrique du Nord avec Alain Portes puis Sylvain Nouet en Tunisie et Philippe Carrara avec le Maroc, ainsi qu’en Afrique Subsaharienne avec Franck Bulleux avec le Sénégal, Denis Tristant avec la République Démocratique du Congo ou encore Ulrich Chaduteaud avec le Gabon, sa présence à la tête des sélections africaines est de plus en plus rare. Peu connu du grand public dans l’Hexagone, le français Kevin Decaux est pourtant aux manettes de la sélection de la Guinée depuis quatre ans, ayant la charge des équipes jeunes, senior masculine et féminine. Il est également le manager général de la fédération guinéenne depuis un an. « J’ai participé à trois Coupes d’Afrique des Nations, rappelle-t-il. J’ai également remporté le dernier Challenge Trophy sur le secteur féminin. » Avec un CV bien rempli et une vraie légitimité en Guinée, il juge que le handball français possède une belle image, servant ainsi d’outil de promotion pour ses entraîneurs. « C’est un atout d’être français, affirme-t-il. Le handball hexagonal jouit d’une vraie reconnaissance dans le monde entier. En contrepartie, il y a beaucoup d’attentes. Beaucoup se sont cassés les dents car c’est au technicien de s’adapter et d’amener son savoir pour le fusionner avec la culture du pays. »
La barrière de la langue peut également être un obstacle pour des entraîneurs français qui souhaitent exercer dans des pays non francophones. Alors que Kevin Decaux est en contact avec un club participant à une Coupe d’Europe à l’étranger pour vivre une nouvelle expérience, il prévient Jackson Richardson, nouveau sélectionneur du Gabon, que « le nom ne suffit pas en Afrique. Ce sont avant tout la passion et l’investissement qui importent. Je souhaite bonne chance à Monsieur Richardson ! Qu’il amène son génie au handball africain ! » Nul doute que, si les résultats suivent lors de la prochaine CAN, Jackson Richardson sera la meilleure publicité possible pour accroître la présence des entraîneurs français à l’étranger.
Olivier Poignard