Euro 2018 (M)
Le jour où les croates ont voulu intimider les Bleus
Le match de ce mercredi entre la France et le pays hôte de l’Euro, la Croatie, rappelle les duels épiques livrés par les deux nations au début des années 2000. Si la finale du mondial remportée par les Bleus à Zagreb en 2009 reste au panthéon des victoires tricolores, la rencontre entre les deux pays en 2000 avait donné lieu à un accueil musclé du public croate. Retour sur un épisode qui a construit cette équipe de France sur la route de ses succès futurs.
C’est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Zagreb en ce temps-là accueillait l’Euro 2000 et voyait débouler les stars du moment sur son sol. Jackson Richardson, désigné meilleur joueur de la compétition, était le leader de l’équipe de France dirigée par Daniel Costantini. Les Bleus n’étaient pas encore surnommés les Experts et ne comptaient qu’un titre mondial acquis en 1995. Les JO et l’Euro se refusaient encore à eux lorsqu’ils se sont présentés en Croatie en janvier 2000, avec la ferme intention de retrouver une dynamique positive après avoir été battus en quarts de finale du mondial un an plus tôt.
« Cazal a même reçu une roue de skateboard ! »
Dans le groupe A, la France a fort à faire avec la Croatie donc, mais aussi l’Espagne, l’Allemagne, la Norvège et l’Ukraine. Du lourd d’entrée pour les coéquipiers de Patrick Cazal, Bertrand Gille, Didier Dinart ou encore Daniel Narcisse et Thierry Omeyer. Alors invaincue, la France s’avance avec le moral gonflé au maximum à l’heure d’affronter la Croatie. Chauffée à blanc, la salle de Rijeka attend les joueurs de Daniel Costantini de pied ferme. Tout est bon pour intimider les Bleus en vue de soutenir les coéquipiers d’Irfan Smajlagic, le génial ailier droit passé notamment par Livry-Gargan, Ivry, Nîmes ou encore les Girondins de Bordeaux. La mission est claire pour les croates : gagner d’au moins cinq buts contre la France pour croire à la qualification en demi-finales. La salle, avec 4.000 spectateurs tous acquis à la cause croate ou presque, était brouillée par la fumée des cigarettes raconte Laurent Moisset dans son livre « La grande saga du handball français » (Hugo Sport). « On a pris des crachats et des pièces en pleine figure, se rappelle Daniel Costantini dans ce livre. Patrick Cazal a même reçu une roue de skateboard. Il y avait le bruit, les insultes qu’on ne pouvait pas ne pas entendre. »
« Si vous faîtes un trop bon match, on va t’envoyer du monde »
L’intimidation et la pression sur les épaules des français avaient commencé bien en amont de la rencontre, finalement achevée sur un match nul (26-26) qui avait envoyé les Bleus en demi-finale et laissé la Croatie aux portes du dernier carré. A l’hôtel des français, Daniel Costantini avait en effet reçu une visite bien particulière avant la rencontre. « On a frappé à ma porte, ce qui était rare pour ne pas dire improbable, raconte l’ancien sélectionneur tricolore dans « La grande saga du handball français ». Une montagne se dressait devant moi et son discours a été très clair : « Si vous faîtes un trop bon match, on va t’envoyer du monde. » Bon, je n’en menais pas large mais on savait aussi qu’en Croatie tout était possible. On n’avait pas besoin de ce match, on aurait pu le balancer et céder à la menace. Oui, on aurait pu faire l’impasse. » Les téléphones qui n’avaient pas cessé de sonner dans les chambres des Bleus la veille du match avaient même obligé Daniel Costantini à remettre de l’ordre auprès de la réception pour que le calme demeure.
Les Bleus avaient évidemment décidé de jouer le match à fond malgré ce contexte lourd et pesant. L’un des joueurs français était une cible privilégiée pour installer le doute dans la tête de l’équipe de France. Naturalisé français en 1998 et natif de Banja Luka (ex Yougoslavie), Andrej Golic vit alors un Euro particulier. Celui qui a effectué une grande partie de sa carrière à Montpellier (1992-2006) est régulièrement pris pour cible. « Il fallait être costaud dans sa tête parce que tous les jours on me faisait plein d’allusions, raconte-t-il. C’était du style : « Dédé, fais gaffe quand même. » Largement dominée en demi-finale par la Russie (30-23), la France avait pris la quatrième place de l’Euro avec trois de ses joueurs dans le top 10 des meilleurs buteurs : Patrick Cazal (n°3), Bertrand Gille et Jackson Richardson (n°9 à égalité). Mais le plus important s’était certainement joué ce 27 janvier 2000, lorsque la France avait su résister à la pression locale. Un an plus tard, les Bleus étaient sacrés champions du monde pour la deuxième fois de leur histoire à Bercy.
Olivier Poignard