Int
A Cuba, la révolution est en marche
L’arrivée de deux joueurs cubains en Starligue la saison prochaine (Taboada à Dunkerque et Cuni à Ivry) symbolise la lente renaissance du handball cubain après une longue traversée du désert. Des initiatives, dont celle de José Hernandez Pola, sont porteuses d’espoir dans un pays qui reste marqué par une grande pauvreté et des moyens sportifs, de fait, limités.
Nichée dans les Caraïbes, faisant face aux Etats-Unis avec lesquels son histoire politique et économique moderne s’est entrechoquée, Cuba a toujours fasciné et intrigué bien au-delà de sa région. Le handball n’a pas échappé à la règle, même si l’île a souvent fait parler d’elle pour des évènements extra-sportifs (naturalisations,…). L’arrivée de joueurs cubains dans le championnat français a ainsi toujours suscité la curiosité. Après les précurseurs Luis Enrique Yant et Rolando Urios à Ivry (1998-2001) ainsi que José Hernandez Pola, sérial buteur passé lui aussi par Ivry, Lille, St-Cyr-sur-Loire (225 buts lors de la saison 2006-2007), Cesson et Bordeaux, Cuba revient à la mode en Starligue et Proligue. Yosdany Rios, arrière gauche arrivé en début de saison passée, a renoué avec la tradition qui veut que les joueurs cubains arrivant dans l’Hexagone portent le maillot ivryen. Son compatriote Alejandro Romero Carreras, prêté par Porto à Pontault en Proligue, complète le contingent cubain.
Leur saison réussie a donné des idées aux clubs de l’Elite. Ainsi, deux autres joueurs cubains sont attendus cet été en Starligue : Reinier Taboada sur le poste d’arrière gauche gauche à Dunkerque, et Yoel Cuni en tant qu’arrière droit à Ivry. « C’est leur niveau en club et l’intérêt des clubs français qui expliquent leur arrivée en France, analyse Yosdany Rios, auteur de 45 buts avec l’USI depuis septembre. Yoel va très bien s’intégrer dans l’équipe. Ce sera une très belle expérience pour lui. Il va beaucoup apprendre en jouant en France, dans le meilleur championnat du monde. C’est un joueur avec un style très dynamique, explosif, avec un tir efficace de loin. Il s’est beaucoup amélioré en défense également. »
Rafael Capote avait demandé l’asile au Brésil
En proie à un développement économique contraint par des dizaines d’années d’embargo américain, le handball cubain a souvent dû faire avec les moyens du bord. Les rudes conditions de vie sur l’île ont forgé le caractère de ses handballeurs, pour qui le sport en général et le handball en particulier a toujours été un moyen de s’affranchir d’une vie de labeur. La promesse d’un avenir meilleur a d’ailleurs poussé certains à changer de nationalité. Ces naturalisations ont régulièrement privé le handball cubain de ses meilleurs éléments, offrant à ses joueurs les plus prometteurs un futur plus radieux hors des frontières de l’île.
Le massif et brillant pivot Rolando Urios, passé par Ivry et devenu espagnol en 2004, avait ouvert la voie. D’autres ont suivi, notamment Carlos Perez, naturalisé hongrois, Frankis Carol Marzo, devenu qatari en début d’année, et Rafael Capote, qui avait rejoint la cohorte d’internationaux qataris avant le Mondial 2015 à Doha. L’arrière gauche n’avait pas hésité à demander l’asile au Brésil en 2007 après avoir fait défection à la sélection cubaine pendant les Jeux Panaméricains disputés cette année-là à Rio de Janeiro. Estimant que le Brésil « offrait de meilleures conditions de vie qu’à Cuba », le joueur alors âgé de 19 ans avait pris un risque important en fuyant un pays dirigé d’une main de fer par Fidel Castro. « Si nous rentrons à Cuba, ma famille et moi seront soumis à des pressions, avait-il alerté auprès de l’AFP. Nous perdrions tout privilège. » Il avait fini par atterrir en Italie pour fuir Cuba et se construire un avenir loin d’un pays dont le salaire moyen flirtait alors avec les 25 dollars par mois.
La sélection renaît petit à petit
Cuba, non qualifié pour le championnat Panaméricain depuis 2010 (4ème), a connu ses heures de gloire dans les années 1990 avec quatre championnats panaméricains à son palmarès (1989, 1994, 1996 et 1998). Depuis, le handball cubain a vécu une véritable crise qui l’a éloigné de la scène internationale et de ses plus grandes compétitions. Au Mondial, la sélection cubaine est ainsi aux abonnés absents depuis sa 20ème place en 2009. « Le manque de compétitivité au niveau international nous porte préjudice, regrettait le président de la fédération, Andres Hurtado, en 2014, sur les ondes de « Handball de Primera ». Les joueurs cubains évoluant en Europe ont pourtant beaucoup d’enthousiasme à l’idée de joueur en sélection. »
Les efforts entrepris ces dernières années pourraient bien être couronnés de succès rapidement. La révolution est en effet en marche, doucement mais sûrement. La fédération s’est dotée d’un nouveau président depuis mai dernier, Franklin Gavara, avec l’ambition de retrouver une place plus conforme avec son histoire.
Sur le plan sportif, les efforts pour structurer le handball cubain commencent à porter leurs fruits. Engagés la semaine dernière dans les qualifications pour le prochain championnat Panaméricain, les cubains se sont offerts les Etats-Unis (41-30), Puerto Rico (36-23) puis le Canada (27-24) avant de faire match nul contre le Mexique (28-28) et de s'imposer contre la République Dominicaine (40-20). Ils décrochent ainsi leur billet pour le prochain championnat Panaméricain au Groenland, une première pour Cuba depuis 2010. Les joueurs sont aussi de plus en plus présents en Europe. Le Portugal est ainsi devenu depuis plusieurs saisons une terre d’accueil privilégiée des jeunes talents cubains. Frankis Carol Marzo, Alexis Borges, le pivot naturalisé portugais qui évolue cette saison à Barcelone, ou encore Alejandro Romero Carreras, l’actuel gardien de but de Pontault-Combault prêté cette saison par Porto, et le futur ivryen Yoel Cuni, y ont tous fait leurs armes.
Le projet de José Hernandez Pola
En coulisses, un homme se démène pour accompagner le développement du balonmano cubain. José Hernandez Pola, le mythique buteur cubain qui a évolué pendant dix ans dans le championnat français, est certainement l’un des mieux placés pour faire bouger les lignes, dressant un pont entre la France et son pays d’origine. International dès l’âge de 18 ans, il a notamment disputé les Jeux Olympiques de Sydney en 2000, vivant sa « plus grande expérience sportive en marquant 4 buts en 7 minutes contre l’Allemagne. » Retraité des terrains depuis 2015, il est un homme bien occupé. « J’organise des tournois de haut niveau dans le Centre Val de Loire, explique-t-il à Handnews. Je travaille aussi sur un projet de multi sport pour les enfants dans le quartier Velpeau à Tours et j’ai créé une entreprise de gestion en accompagnement sportif. » Son plus grand projet le relie cependant à Cuba, avec l’intention de développer le sport sur son île.
« L’idée est de construire un projet de collaboration avec la France en vue des JO de Paris 2024, explique-t-il. Je rêve que les disciplines où la France est reconnue collabore avec des sportifs cubains, et inversement que les sports dominants à Cuba puissent échanger avec leurs homologues français. J’envisage qu’une délégation française puisse venir effectuer un stage de préparation à Cuba, et inversement avec une délégation cubaine dans l’Hexagone. J’en ai déjà discuté avec Patrice Canayer, Erick Mathé, Pascal Léandri, David Degouy ou encore le club de Châtellerault qui travaillent avec moi sur ce projet. » Et de conclure : « Ce serait une ouverture au monde professionnel, tout en gardant nos valeurs et notre identité. » Une façon de conjuguer tradition et modernité pour permettre à Cuba de vivre sa révolution sportive.
Olivier Poignard