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Kiel et les Löwen, victimes du conflit Bundesliga-EHF
Qualifiés pour les huitièmes de finale de la Ligue des champions, Kiel et Rhein-Neckar Löwen ont été confrontés à un choc entre les calendriers de Bundesliga et de Coupe d'Europe avec deux matchs placés le même jour. Et ce pourrait ne pas être le dernier...
On peut se réjouir que le handball gagne en popularité, que les championnats se développent, que les produits soient mieux vendus. La Fédération européenne (EHF) pousse à ce développement économique en revoyant ses compétitions, pour qu'elles deviennent plus intéressantes au niveau marketing. L'Allemagne a fait de même avec son championnat : le calendrier est (un peu) plus lisible et les clubs de Bundesliga ont vu leurs revenus télévisés augmenter avec l'arrivée du diffuseur Sky. Mais, aussi étonnant que cela puisse paraître, alors que Bundesliga et EHF ont les mêmes objectifs et devraient se compléter, les voilà qui entrent en conflit, se font concurrence pour placer leurs matchs aux dates qu'ils souhaitent. La fédération européenne l'avait annoncé en novembre dans un communiqué : elle souhaitait positionner ses matchs-phares le samedi après-midi, période idéale pour les annonceurs. Sauf qu'elle n'est pas la seule...Les victimes sont alors faciles à identifier : les clubs allemands qui disputent la Ligue des champions.
Rigidité des acteurs, épisode 2
Le 24 mars, Kiel recevra Rhein-Neckar Löwen. Ce gros choc de Bundesliga sera diffusé par ARD, la première chaîne du pays, dans le cadre de son accord avec la Sky. L'EHF a décidé de placer les huitièmes de finale aller de Champions League le même week-end. Ni la Bundesliga, ni l'EHF ne veut lâcher la date, les deux clubs sont donc mis au pied du mur. « Nous avons soumis à l'EHF et au Pick Szeged toute une série de propositions, pour trouver une solution dans le sens du handball au problème de calendrier autour du match aller », explique Viktor Szilagyi (photo), directeur sportif de Kiel, sur le site du club. Les solutions proposées ont été refusées par les différents acteurs. L'EHF laisse alors deux choix à Kiel et Rhein-Neckar : soit le calendrier ne bouge pas et les clubs auront deux matchs à jouer le même jour, soit ils acceptent d'échanger la réception du match retour avec celle du match aller, et ainsi placer leur aller à domicile le mercredi. A Rhein-Neckar, la directrice Jennifer Kettemann a retenu la première solution, avec envoi très probable de l'équipe réserve à Kielce pour le huitième de finale aller de Ligue des champions. C'est un bis repetita pour elle, qui avait dû gérer une situation similaire mais moins extrême, avec deux matchs en 25h début novembre. Elle avait alors fait face à la même rigidité de ses différents interlocuteurs. Kiel a retenu la deuxième option.
Des adversaires peu conciliants
On peut comprendre pourquoi la date du 24 mars à 18h10 pour le match Kiel – Rhein-Neckar Löwen est inamovible pour la Bundesliga : ce jour-là, il n'y a pas de football, et l'ARD peut alors proposer à un large public laissé libre par le sport-roi outre-Rhin une affiche de handball à l'heure de son émission sportive hebdomadaire. Pour la Bundesliga, c'est une visibilité énorme, pour l'ARD, c'est la seule solution pour éviter de faire des audiences décevantes.
Mais c'est finalement le même argument qui est utilisé par les adversaires des deux clubs en Ligue des champions. Szeged argue que, pour la télévision hongroise, son match à domicile doit être diffusé le samedi après-midi. Kielce dit exactement la même chose avec la télévision polonaise. « Nous étions même prêts à nous embarquer pour deux matchs en 24 heures, » appuie Viktor Szilagyi pour montrer la bonne volonté de Kiel, finalement obligé d'accepter le deal de l'EHF et de lâcher son match retour à domicile. Une décision qui laisse Szilagyi très amer. « Cet échange de match à domicile prouve l'absurdité de la valeur sportive de la phase de groupes en général et l'engagement de notre équipe pour avoir le match retour à domicile n'est en aucun cas respecté » lâche-t-il, avant d'ajouter que cet échange « n'est pas seulement un coup dur sportif, mais aussi émotionnel et économique. ». Rhein-Neckar a fait les mêmes propositions à Kielce qui est aussi resté inflexible, refusant de jouer le dimanche.
On n'a malheureusement pas la version de Kielce et de Szeged dans ce blocage de calendrier duquel ils ressortent gagnants : Kielce devrait se retrouver face l'équipe réserve de RNL pour le match aller et a la possibilité d'assommer les Lions avant le retour, Szeged récupère un avantage de terrain non négligeable pour le match retour. Notons quand même que les deux équipes qui refusent de jouer le dimanche à domicile l'ont pourtant fait durant la phase de poules : Szeged par trois fois (face à Zagreb, Rhein-Neckar Löwen et Barcelone) et Kielce à quatre reprises, des chocs à chaque fois (face à Kiel, Flensburg, Veszprém et Paris). Si Szeged peut à la rigueur avancer que vu que le match de l'autre club hongrois, Veszprém, est placé le dimanche, il est justifié de ne pas être diffusé le même jour (ce sera d'ailleurs l'inverse pour les matchs retour), le club de Bertus Servaas (photo) ne peut pas donner cet argument puisqu'il est le dernier club polonais engagé. "Nous ne commentons pas la situation car c'est une décision de notre adversaire. Mais il aurait certainement été plus sportif et raisonnable d'échanger l'ordre des matchs" a sobrement commenté le président de Kielce Marian Urban. Réel blocage ou mauvaise volonté ? La question est ouverte...
Le conflit EHF-Bundesliga reste chaud
Si on peut aller chercher la petite bête du côté de Szeged et de Kielce, n'en faisons pas non plus les coupables de cette affaire. La mésentente entre la Bundesliga et l'EHF est l'explication principale du problème. Le dialogue semble rompu entre les deux organisations, presque devenues rivales. Il y a eu le problème de calendrier des Rhein-Neckar Löwen en novembre, le retrait de la wild-card pour la prochaine Ligue des champions, le désaccord public envers la future formule de la Ligue des champions à partir de 2020 par la Bundesliga, et maintenant ce nouveau problème de calendrier, où l'EHF reproche à la HBL de ne pas l'avoir averti qu'elle plaçait le match de championnat le 24 mars. A l'EHF, on dit avoir appris ce choix par la presse, dans une interview de Frank Bohmann, le président de la HBL. « La HBL et l'EHF auraient pu éviter assez tôt cette escalade, regrette Viktor Szilagyi. Nous clubs avons investi un temps infini pour trouver une solution, et devions ensuite constater que nos idées soumises aux fédérations tombaient dès le départ dans les oreilles de sourds. » Jennifer Kettemann ne peut qu'abonder : « Nous n’avons d’autre choix que d’envoyer notre deuxième équipe en Pologne. Nous savons pertinemment qu’il n’y aura pas de comparaison sportive possible entre nos joueurs et ceux de Kielce et que la réputation de la Champions League va en prendre un coup. Mais nous sommes obligés, par l’attitude des deux instances, de faire ainsi. Les dégâts causés à notre sport sont énormes. »
L'EHF a jugé d'emblée que la Bundesliga était fautive de ne pas l'avoir informée sur le calendrier d'entrée. Du côté de la HBL, pas d'attaque frontale contre l'EHF. « C'est plus que fâcheux et pas bon pour le handball », a déclaré Frank Bohmann, le directeur de la HBL, qui regroupe les clubs de première et deuxième divisions allemandes. Il ajoute une pointe de pessimisme pour les deux prochaines saisons, ne voyant pas le problème se résoudre : « On doit s'attendre à ce que se produisent d'autres collisions de calendrier, » a-t-il déclaré à l'agence dpa. Dans cette querelle proche du ridicule, l'Allemagne reste la plus grande perdante : la Bundesliga a beau rester le championnat le plus relevé d'Europe, ses fers de lance ne sont plus les équipes les plus effrayantes d'Europe. Et de telles situations ne vont pas l'aider à replacer un club au Final4 de Cologne...
L'état du calendrier des huitièmes de finale pour Kiel et Rhein-Neckar Mercredi 21 mars : Kiel - Szeged à 19h (inversion du match aller) Samedi 24 mars : Kielce - Rhein-Neckar Löwen à 16h (Kiel - Rhein-Neckar Löwen à 18h10 en Bundesliga) Dimanche 1er avril : Szeged - Kiel à 17h Rhein-Neckar Löwen - Kielce à 19h
Mickaël Georgeault