Starligue
J. Da Silva : « Si aujourd’hui on se dit que tout est bien, on va s’ennuyer »
Une finale et une demi-finale de coupe d’Europe sur les deux dernières saisons, une présence continue dans le top 4 avec, même, une deuxième place finale en Starligue en 2016, le bilan de Joël Da Silva sur le banc de Saint-Raphaël, quatre ans et demi après son arrivée, est plutôt flatteur. Alors qu’il arrive en fin de contrat en juin, le technicien revient sur le parcours de son club et jette un oeil vers le futur, sans savoir encore s’il en fera partie.
- Au quart de la saison, quelle appréciation mettez-vous au bas du bulletin de Saint-Raphaël ?
- Si on regarde par rapport à l’an dernier, c’est mieux. On avait quatre points, on en a sept. Une belle victoire à Cesson a validé le plan défensif avant un très bon match contre Pontault et notre rencontre la plus aboutie à Chambéry dans des conditions pas simples. Le Trophée des Champions avait bien lancé les choses, notamment avec une bonne victoire contre Paris. Ce qui nous met dedans, c’est cette défaite contre Nîmes alors qu’on avait le match en main. On a trainé ça comme un boulet. Depuis les choses vont plutôt bien, on marque énormément de buts même si on a beaucoup bossé la défense. L’intégration des nouveaux est très positive, même plus que positive, c’est presque surprenant qu’ils soient aussi bons aussi tôt dans la saison. On ne s’est pas trompé sur ce plan. Le début de saison n’est pas mauvais même si je pense qu’on aurait dû prendre les deux points contre Nîmes.
- L’écart entre Saint-Raphaël et la concurrence continue-t-il à se rétrécir ?
- Le handball français ne peut pas avoir eu la saison européenne de l’an dernier sans concurrence. L’exemple inverse, c’est peut-être le PSG au football, quand on voit leur parcours en Champions League et les matchs de cette saison, on peut se dire qu’il n’y a pas assez de concurrence pour lui permettre d’être bon sur le plan européen. Les équipes françaises font un bon parcours la saison dernière car il y a des adversaires de qualité en championnat. Cette année, il y en a encore plus car certains clubs, pour ne citer que Chambéry, ne faisaient plus partie du haut de tableau et y font leur retour. Le projet de Aix avance, la concurrence grandit, c’est de plus en plus difficile mais si on aspire à être le meilleur championnat au monde, il faut accepter que beaucoup d’équipes veuillent la même chose.
- On voit une équipe de Saint-Raphaël plus jeune que la saison passée. Y’a-t-il déjà un bilan à tirer de ce rajeunissement ?
- Pour un nouveau cycle, je trouve que c’est pas mal. On a fait des performances de choix. On a travaillé avec des joueurs issus de notre formation, pour la valoriser, mais aussi sur d’autres en devenir, comme Vadim ou Jérémy. Ils ont déjà une petite expérience. Je trouve que ça a amené un vent de fraicheur, cela a redynamisé le groupe. L’inconvénient, c’est ce fameux manque d’expérience mais c’est une donnée qu’on avait en main et je l’accepte. Je préfère avoir de l’enthousiasme, de la volonté et un peu moins d’expérience que d’être sur la retenue et ne pas tenter. Et d’autres jeunes arrivent encore, comme David Eponouh, qui montrent que le travail fait au centre de formation par Dan-Rares Fortuneanu est bon. C’est bien pour l’avenir et pour le projet futur.
- Le virage vous a-t-il été imposé ou l’avez-vous choisi ?
- Quand je suis arrivé à Saint-Raphaël, on m’avait demandé d’être capable de sortir des jeunes car c’était ma culture quand j’étais à Toulouse. En ayant professionnalisé le poste avec Rares, cela a permis d’avoir quelqu’un à temps plein. On a beaucoup bossé là-dessus, il n’était pas normal qu’on ne puisse pas sortir des joueurs alors que je pense qu’on a autant de bons jeunes qu’autre part. Cette politique mise en place il y a quatre ans, on en voit aujourd’hui les fruits avec les Trottet, Kolakovic, Mapu, même Demaille. Cela permet d’avoir une identité locale, c’est important dans un sport d’équipe d’avoir une fibre. Et on est en train de la construire.
"Ce qui fait la plus-value, c’est de jouer l’Europe tous les ans"
- Le club et l’équipe sont-ils aujourd’hui là où vous pensiez qu’ils seraient quand vous êtes arrivé ?
- Ils l’étaient déjà avant, le changement porte sans doute sur le niveau européen. La concurrence en championnat a certes évolué mais le club était déjà dans le top 4 ou 5. Ce qui fait la plus-value, c’est de jouer l’Europe chaque année et d’y tenir un rôle. Depuis qu’on est arrivé, c’est le cas et je pense qu’on est respecté à travers le continent. A mon avis, c’est ce qui fait que certains joueurs ont passé un cap et sont devenus internationaux, car ils sont évalués sur le niveau européen. Je pense à Dipanda, Caucheteux, Lynggaard qui ont pu montrer leur savoir-faire à travers ces rencontres européennes.
- Ces Final Four européens sont vraiment les moments pivots dans la perception du club par l’extérieur ?
- Dans n’importe quel sport collectif, la coupe d’Europe est le révélateur. Selon le pays où on est et la valeur de ton championnat, tu es plus ou moins exposé. Dans le foot, le rugby, le basket, on s’abonne pour regarder les matchs européens, ce sont les moments importants de la saison. Aujourd’hui, le championnat français est mis en avant parce que les équipes ont fait des parcours européens merveilleux.
- Peut-on considérer que les résultats sportifs de Saint-Raphaël tiennent de l’exploit perpétuel, compte tenu de votre budget par rapport à la concurrence ?
- Leur répétition, sans doute. Arriver à battre les Allemands chez eux et à avancer à ce niveau, c’est un exploit. Le répéter, année après année, quand on voit les budgets alignés par la concurrence, c’est une véritable performance.
- Saint-Raphaël est-il prêt à gagner cette coupe d’Europe ?
- Je ne sais pas si on est prêt. Chaque étape européenne nous permet de voir où on se situe. Je me souviens de mon premier match européen avec l’équipe et je vois aujourd’hui comment on va aborder le troisième tour face au Maccabi. Il y a de l’expérience. Après, de là à gagner, il y a d’autres paramètres qui entrent en compte : la chance, les blessés, les tirages….On connait ce type d’événement et on les aborde différemment. Cette expérience nous sert à bien avancer dans la compétition.
- Personnellement, que ressentez-vous quand on place Saint-Raphaël parmi les favoris pour remporter la coupe EHF cette saison ?
- Je ne suis pas quelqu’un de nombriliste donc il est vrai que je ne le prends pas à titre personnel, nous sommes un groupe. Mais je dois reconnaître que je tire une fierté de voir la valorisation du travail réalisé à travers ce statut que nous avons pu obtenir. Maintenant, compte tenu du calibre des équipes présentes cette année en EHF, c’est délicat de se considérer comme favori. Je suis content qu’à travers toutes les échéances connues depuis quatre ans, on ait appris de nos erreurs et de nos défaites. Malgré tout, que de l’extérieur on nous renvoie cette image, c’est encourageant, flatteur et ça donne envie d’y revenir.
- A votre arrivée à Saint-Raphaël, vous demandiez du temps pour bâtir votre projet. Les résultats valident-ils votre discours initial ?
- Je viens d’une culture du travail, d’une formation où on parle de projet et de planification. Et même en projetant et en planifiant, on n’est pas sûr d’avoir du résultat. Notre force est d’avoir eu des résultats très tôt, ce qui a donné de la crédibilité à ce qu’on voulait mettre en place. Le projet a avancé au fil des saisons, il évolue en fonction de ce qui fonctionne ou non et on rectifie pour toujours rester dans l’excellence.
- Y’a-t-il des modèles qui vous inspirent ?
- Je suis bercé par Barcelone, je trouve remarquable ce côté omnisports, cette capacité à faire cohabiter le foot, le hand et les autres sports. L’image que le Real Madrid dégage me parle beaucoup aussi, ce côté institution. J’ai été influencé par Alex Ferguson à Manchester, le foot qu’ils pratiquaient, là aussi, la capacité à faire passer le club avant les hommes. Bien évidemment, le Stade Toulousain, c’est chez moi. Ce sont des milieux complètement différents du handball. L’entreprise aussi qui m’inspire. J’ai travaillé chez Truffaut et ça m’a beaucoup marqué, j’ai beaucoup aimé cet univers. Il y a une histoire, un ADN, une vérité qui me correspondait.
"Je trouve bien de mettre une certaine quiétude dans la construction du projet"
- En parlant de projet, quand Adrien Dipanda prolonge avec le club jusqu’en 2024, que cela vous inspire-t-il ?
- Je me souviens de toute la difficulté qu’il avait eu à ses débuts ici. Ca a été une période difficile, il sortait d’une saison à Leon où il avait été blessé. Il voulait essayer de passer un cap et de le voir aujourd’hui être reconnu comme un joueur très important en équipe de France, le capitaine de Saint-Raphaël, pour moi c’est un juste retour des choses. Il s’est beaucoup investi dans le travail, et aujourd’hui il est récompensé.
- Ces prolongations longue durée, sont-elles de votre volonté ou de celles du club ?
- Quand on a un effectif avec des joueurs importants, c’est bien de pouvoir leur donner une certaine lisibilité. Cela valide le projet et c’est bien de le faire le plus tôt possible. Il faut que les gens sentent qu’il se passera encore quelque chose. Et c’est évidemment une volonté commune de pouvoir compter dans l’avenir sur des joueurs de qualité comme eux.
- Le fait que des Popescu ou des Dipanda prolongent sur plusieurs années veut-il dire que le projet de Saint-Raphaël est plus crédible que d’autres ?
- Je ne suis pas là pour juger les autres projets. Aujourd’hui, il y a des résultats et on joue l’Europe en y étant respecté. Les joueurs prennent en compte ces choses là. Quand ça se passe bien, quand le cadre de vie est intéressant, pourquoi aller ailleurs ? Je trouve ça bien car cela permet de mettre une certaine quiétude dans la façon de bâtir le projet et c’est agréable de travailler dans la sérénité sans être lié aux humeurs des uns et des autres.
- Quand on vous écoute, il ne manque rien à Saint-Raphaël…
- Si de l’eau, même s’il a beaucoup plu ces derniers temps (rires). On peut toujours avoir envie d’autres choses, de pouvoir rivaliser toute la saison avec les meilleurs, le développement, le remplissage…On peut toujours essayer de repousser le projet, de là nait la motivation. Si aujourd’hui on se dit que tout est bien, on va s’ennuyer. On essaye de se mettre des challenges.
- Un trophée est-il la chose qu’il manque pour encore franchir un cap ?
- Le trophée, c’est ce dont on se souvient. Il n’y a que Poulidor qui a construit son après-carrière sur le fait d’avoir fini deuxième (rires). Evidemment que c’est important. Cela fait de nombreuses années que le club court après, et c’est important que les joueurs aient une trace commune. On a produit des super matchs, on a gagné à Magdeburg et à Berlin, on a passé des super moments mais ce n’est pas un trophée. En coupe d’Europe on n’était pas loin. Aura-t-on l’opportunité d’y revenir ? Je l’espère. Un trophée c’est tellement difficile à avoir que ça marque l’histoire d’un club.
- Existe-t-il un sentiment de frustration de ne toujours avoir rien gagné ?
- Cela nous permet surtout de nous remobiliser pour y revenir. Je reste persuadé que l’armoire à trophées de Saint-Raphaël se remplira à un moment. Mais quand ? Je ne suis pas madame Irma pour le dire.
"Même si mon nom est cité à droite et à gauche, je suis concentré sur mon présent"
- Les joueurs prolongent leurs contrats mais vous êtes en fin de contrat en juin. Où en est la situation ?
- Le président a dit que le staff serait vu en décembre. Le projet me plait car aujourd’hui on est sur un nouveau cycle. L’investissement fait sur le centre de formation porte ses fruits, il y a une vraie dynamique. Après, je suis un entraineur pro et la vérité d’aujourd’hui n’est pas forcément celle de demain. On est tous lié aux résultats. On va avoir l’occasion de discuter de cet avenir. Sera-t-il ici ou ailleurs ? On verra. Je suis concentré sur les objectifs à atteindre cette saison tout en étant attentif aux projets qui pourraient m’être proposé.
- On entend votre nom à droite et à gauche…
- On l’entend chaque année, on l’écrit même. Ca fait partie de notre sport, de la nouvelle dimension du handball. Beaucoup de choses évoluent, les médias, le positionnement des joueurs...Beaucoup de projets sont ambitieux aujourd’hui et donc attractifs mais on verra ce que l’avenir nous réserve. Même si mon nom est cité à droite et à gauche, je suis concentré sur mon présent.
- Vous y prêtez attention quand on parle de vous dans certains clubs ?
- C’est toujours flatteur de voir son nom associé à d’autres projets mais ce n’est pas ma priorité. Je l’ai encore dit à un joueur récemment, quand je me lève le matin, ce qui me préoccupe le plus, c’est l’équipe. Je suis centré sur ça. Après, je suis peut-être naïf mais je crois aux valeurs du travail. Je crois que tout travail mérite salaire et que quand on travaille, on se construit un avenir. Je l’assume. Ce n’est peut-être pas la pensée de tous, mais je m’y tiens. C’est ce que j’essaye à inculquer aux joueurs. Que s’ils veulent plus, un contrat, une reconnaissance, il faut travailler plus pour être capable d’être récompensé.
- Il y a deux ans, à la même époque, vous disiez que ce serait votre dernière campagne européenne avec Saint-Raphaël. Tiendriez-vous le même discours aujourd’hui ?
- (Silence) On verra.
- L’étranger est-il un challenge qui pourrait vous tenter ?
- Je n’ai pas peur de l’étranger, je sais qu’en France c’est la tendance, mais je n’en ai pas peur…Bien évidemment ! Je suis d’une culture étrangère, mes parents sont étrangers. Je suis né français mais mes racines sont portugaises. Forcément, j’ai toujours aimé aller voir ailleurs. Si mon avenir doit se faire un jour à l’étranger, c’est une aventure à laquelle je ne tournerais pas le dos. Culturellement, c’est enrichissant, cela permet de s’ouvrir aux autres. C’est bien de voir autre chose et quand on a ce type d’opportunités, pourquoi pas. Mais pour l’instant, l’étranger se résume au Maccabi Rishon Lezion en coupe d’Europe dans un mois.
Propos recueillis par Kevin Domas