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Timur Dibirov dévoile le calvaire des joueurs du Vardar
Dans une longue interview au site Balkan Handball, l'ailier russe du Vardar Skopje Timur Dibirov a dévoilé le quotidien des joueurs du club vainqueur de la dernière Champions League.
Il est rare que les conférences de presse d’après-match de Champions League donnent lieu à des envolées lyriques qui marquent les mémoires. Et pourtant... Il y a quinze jours, le Vardar Skopje vient de remporter son premier match en trois mois de coupe d’Europe, face au Motor Zaporozhye (38:28). L’entraineur Stevce Alushovski, le troisième depuis le début de la saison, prend alors la parole, la mine grave malgré le succès. “Je ne vais pas parler de succès mais de quelque chose de bien plus important. Le Vardar n’a jamais été dans une situation aussi catastrophique, et son futur n’a jamais été aussi incertain. Mais ce que les joueurs ont fait ce soir est phénoménal. Ce sont des héros de la nation, pour ce qu’ils ont fait, pour le club et pour le pays. C’est au-dessus de n’importe quelle qualité humaine et je suis fier de travailler avec de telles personnes” dit-il, passablement ému.
Et si on savait que la situation financière du Vardar Skopje, où les joueurs n’ont plus été payés depuis plusieurs mois, était cataclysmique, une interview donnée par Timur Dibirov au site Balkan Handball vient offrir un éclairage encore plus effrayant au tableau. L’ailier russe, pour mémoire, est arrivé en 2013 dans la capitale macédonienne, le premier d’une longue lignée de joueurs talentueux à avoir porté le club rouge et noir sur le toit de l’Europe à deux reprises, en 2017 et 2019. Mais tout cela semble bien loin, alors que le propriétaire russe Sergey Samsonenko n’a plus les moyens de payer ses joueurs depuis plus d'un an et que l’état macédonien refuse d’honorer les promesses faites suite à la victoire en Champions League en juin dernier. “Quand nous avons gagné la deuxième Champions League, tout le monde a dit qu’il allait nous aider. Et je vous parle des gens importants dans ce pays. Ils nous ont dit que la situation allait changer, qu’ils nous aideraient et qu’il ne fallait pas quitter le club. Si Sergey n’a pas fermé le club l’été passé, c’est uniquement car il pensait qu’on allait nous aider. Mais non, rien, aucun argent” explique Dibirov, qui expliquent que, déjà la saison passée, les salaires n'étaient plus payés régulièrement.
Dibirov date le début de la crise financière au printemps dernier. "Sergey Samsonenko est venu nous voir pour nous dire qu'il ne pouvait pas continuer. Il est venu vers nous et nous a dit les choses honnêtement. Et toutes les personnes qui sont passées par ce club ne lui sont que reconnaissantes, car il a investi son argent personnel sans compter" explique Dibirov, de toute évidence bien plus amène avec le propriétaire de son club qu'on aurait pu le penser. Car selon l'ailier gauche, si la situation avait été clarifiée dès la fin de saison dernière, aucun joueur ne serait resté. "Quand il s'est rendu compte que l'argent ne venait pas des dirigeants de l'état qui nous l'avaient promis, il nous a réunis. Il nous a dit qu'il allait faire son maximum pour nous payer, mais qu'il n'en revenait pas que des gens aient pu lui mentir. Il a été honnête et droit" continue Dibirov.
"On prend des gardiens de but pour jouer sur le champ..."
Alors, forcément, l’ambiance au quotidien s’en ressent. Certains ont décidé de quitter le navire l’été passé, à l’image de Dejan Milosavljev (Berlin) ou d’Igor Karacic (Kielce). D’autres sont même partis en cours de saison, comme Dainis Kristopans, alors que Christian Dissinger a ouvertement déclaré vouloir quitter Skopje. Forçant ceux qui restent à improviser, que ce soit la semaine ou le weekend. “Si le club était stable, tout serait différent. Mais depuis le début de la saison, on improvise, on essayer de sauver les meubles. Cette semaine, on s’est retrouvé à cinq à l’entrainement. On ne pouvait pas s’entrainer, alors on a joué au foot” explique-t-il froidement, dans une description hallucinante. "On joue à deux contre deux, trois contre trois, on prend des gardiens de but pour jouer sur le champ ou des -18 pour faire les défenseurs et avoir un six contre six…Si les gens voyaient comment les choses se passent, ils comprendraient. On ne peut pas gagner des matchs juste en courant ou en faisant de la muscu. Et cette semaine, on savait que si un de nous était malade, ça aurait été la catastrophe.”
Alors, on en vient à se demander pourquoi un tel joueur n’a pas claqué la porte devant un tel délabrement. Comment des joueurs aussi géniaux que Dibirov ou Stas Skube peuvent encore s’abaisser à évoluer dans de telles conditions. “Quand on sait comment on a été bien traité les années précédentes, on ne peut pas cracher dans la soupe. Et il y avait toujours eu quelqu’un pour venir nous dire que l’argent allait arriver. Quand on est arrivé à la reprise et qu’on n’avait pas reçu nos salaires en retard de la saison passée, on s’est bien douté que quelque chose n’allait pas, mais on y a toujours cru” soupire-t-il. Jusqu’à ne plus y croire et à vouloir, à tout prix, trouver une porte de sortie pour la saison prochaine. “On a tous des enfants, des gens pour qui on doit travailler et rapporter de l’argent” continue-t-il.
Alors on imagine bien que la réception de Montpellier, cet après-midi, est le cadet des soucis des joueurs du Vardar, qui sont déjà qualifiés pour les huitièmes de finale de la Champions League. Une étape qui sera le baroud d’honneur d’une des plus belles épopées du handball récent. “On va jouer comme si c’était notre dernier match, comme nous l’avons fait jusque là. On connait la situation et nous n’avons plus peur de personne” annonce-t-il, avant de terminer, visiblement ému : "Le Vardar est une institution. On voit tous les jours à quel point les gens aiment le club et respectent ce que nous avons fait. C'est pourquoi je n'en reviens pas que nous soyons dans une telle situation. Ce club peut se passer de Sterbik, Cindric, Karacic, Stoilov et Dibirov, ce club peut se passer de nous tous, mais il doit exister ! C'est un monument ici. Je ne comprends pas pourquoi les dirigeants du pays laissent le club mourir comme ça..."
Kevin Domas