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Le week-end fou de Rhein-Neckar
Inédit et insensé : les Rhein-Neckar Löwen ont joué deux fois à l'extérieur en 25 heures ce week-end. Deux matchs à forte intensité, et à fort enjeu, en championnat et en Coupe d'Europe. Le club a réussi l'exploit d'en sortir grandi. Retour sur un week-end pas banal.
Oui, les clubs de handball peuvent jouer deux matchs en un week-end, lors de Final 4, où une Coupe se décide entre les quatre dernières équipes en lice en deux jours. Mais le calendrier s'adapte au Final 4, on se prépare théoriquement pour éviter une charge physique trop lourde pour les joueurs. Et surtout, on reste dans la même salle tout le week-end. Les Rhein-Neckar Löwen ont expérimenté ce week-end le fait de jouer dans deux compétitions différentes, dans deux lieux différents, le même week-end : un match à Leipzig en championnat le samedi, un match à Barcelone en Ligue des champions le dimanche. Ce qui ressemble bien plus à une folie.
Trop bons, les Lions...
A l'origine de cette programmation ubuesque, une rigidité des acteurs face à un champion d'Allemagne qui est obligé de s'adapter. Premièrement : la télévision allemande. On a beaucoup critiqué le diffuseur payant Sky pour un calendrier strict de matchs sur deux jours, le jeudi et le dimanche, alors que la fédération européenne (EHF) veut de la flexibilité. Ligue allemande et EHF sont en conflit ouvert, un conflit qui a empiré ces derniers jours. Mais ce week-end, changement de dates : deux matchs de Bundesliga sont diffusés le samedi, chose permise par l'absence de match de football sur les antennes de la chaîne à péage (week-end international oblige). Mais ce coup-ci, Sky n'est pas le principal responsable. Le match entre Leipzig et Rhein-Neckar a été choisi par la chaîne publique ARD parmi les quelques rencontres prévues dans le nouveau contrat de diffusion. La première chaîne d'Allemagne a un impératif : le match doit être diffusé le samedi à 18h10, dans le cadre de son émission sportive hebdomadaire.
Vue la visibilité qu'apporte une telle retransmission (comme si un match de Starligue était diffusé sur TF1 un samedi en access...), les Löwen ne peuvent pas vraiment cracher dans la soupe. Mais ils se heurtent à la rigidité d'un deuxième acteur : le FC Barcelone. Les Catalans jouent en championnat le mercredi et en Ligue des champions le dimanche, et ne veulent pas, semble-t-il, inverser la situation rien que pour une fois. EHF et Bundesliga ont également très mal communiqué ensemble. De son côté, Sky tient à son créneau du dimanche à 19h pour la Ligue des champions et peut choisir ce match, donc la situation arrange tout le monde. Sauf Rhein-Neckar, évidemment. « Si ça n'avait tenu qu'à moi, c'est notre équipe réserve qui aurait disputé le match à Barcelone », enrageait Jennifer Kettermann, manager général du club, en septembre dernier. Rhein-Neckar est finalement trop bon dans l'affaire : prisonnier des exigences des autres et obligé d'accepter une situation qui le dépasse.
Une communication adaptée
Après avoir poussé un coup de gueule en septembre, le club a décidé de s'accommoder de cette situation. D'une part, les joueurs se sont mis dans la tête de jouer les deux matchs à fond, en dépit des contraintes logistiques et de récupération. Le staff met tout en œuvre pour gérer au mieux la situation. Enfin, le club met en place une communication autour du week-end sur les réseaux sociaux et lance le hashtag #wahnsinnswochenende ("week-end de folie" en VF). On n'entend plus le club se plaindre, on le voit seulement sourire de la situation. Le match contre Leipzig est le premier de Bundesliga diffusé sur ARD : l'événement se doit d'être impeccable, et la polémique du calendrier, impossible à masquer, passe au second plan, derrière la fête du handball que doit être ce match.
Le premier match : SC DHfK Leipzig – Rhein-Neckar Löwen
Si on met de côté le contexte propre aux Löwen, ARD a plutôt bien choisi son affiche : le champion en titre qui se déplace chez une équipe surprenante, ambitieuse, l'ancien club du sélectionneur national Christian Prokop, dans une belle et grande salle, pleine de plus de 5000 spectateurs. Leipzig sait gêner les gros. Avec un peu de chance, on pourrait même assister à une surprise. Les Löwen savent qu'ils ne peuvent pas se défiler et doivent répondre au défi physique des Saxons. Mais ils se facilitent le match en prenant d'entrée les commandes au score. Un but de Mads Mensah Larsen donne à RNL trois longueurs d'avance (4-7, 13'). On ne pense pas au fait qu'il y a match pour l'adversaire le lendemain côté Leipzig : Bastian Roscheck, le chef de la défense des Verts, ne fait pas dans la dentelle pour écarter Andy Schmid (16'). Leipzig répond au rendez-vous dans une première période passionnante, mais c'est bien Rhein-Neckar qui est en tête à la pause (13-15, 30').
Au retour des vestiaires, le champion déroule. Alexander Petersson, précieux depuis le début de la rencontre et parfait au tir, marque son huitième but (sur neuf) pour un 4-0 d'entrée (13-19, 35'). Leipzig souffre, et bute sur un Mikael Appelgren impressionnant. Avec 16 arrêts (47%), il a dégoûté les tireurs du SC DHfK, qui ne marquent que trois fois en vingt minutes (16-27, 50'). RNL se comporte en véritable rouleau compresseur, et prouve être la meilleure équipe d'Allemagne en ce moment. Leipzig réduit finalement l'écart en profitant de ballons perdus sur jeu à 7 de la part des Lions qui ont baissé le pied, et s'incline de six buts (23-29). Rhein-Neckar a livré une prestation impeccable, et revient à un point du leader Berlin au classement, malgré deux matchs de moins.
Côté gestion des hommes, l'entraîneur Nikolaj Jacobsen a décidé de ne pas faire tourner son effectif pendant la rencontre. Le Danois joue avec son sept majeur : Appelgren dans les buts, Groetzki sur l'aile droite, Sigurdsson sur l'aile gauche, Petersson, Schmid et Mensah sur la base arrière et Pekeler en pivot. Guardiola remplace Mensah ou Schmid pour les phases défensives. Les autres ? Baena entre deux minutes en première période pendant une exclusion temporaire, et Reinkind supplée Petersson en fin de rencontre. Six joueurs assistent à la totalité de la rencontre sur le banc.
Gérer au mieux la récupération
Après la rencontre, le groupe part à Berlin en bus pour passer la nuit dans la Capitale. On distribue les tenues pour le lendemain, et les joueurs peuvent aller dormir à 23h30. Ils sont à l'aéroport de Berlin-Schönefeld à 8h30 le dimanche matin, et arrivent à Barcelone vers 13h, six heures avant le match. Place à la récupération l'après-midi, avec l'utilisation de quelques instruments originaux pour les joueurs, comme par exemple pour Alexander Petersson (photo). A situation exceptionnelle, moyens exceptionnels... La fatigue de la veille et le voyage de 1500 km doivent être digérés pour être au rendez-vous face au champion d'Espagne. Les Lions ne semblent pas arriver cramés pour ce match contre Barcelone, avec qui ils sont à la lutte pour la tête de la poule A en compagnie du Vardar Skopje, le leader. Au match aller en Allemagne, les deux équipes avaient livré un superbe duel pour un score de parité, au final (31-31).
Le second match : FC Barcelone – Rhein-Neckar Löwen
Comparé à la veille, Jacobsen change ses hommes et sa tactique, avec jeu à 7 en attaque dès le début de la rencontre. Appelgren, Groetzki, Sigurdsson, Mensah, Petersson et Pekeler sont sur le banc, seuls Schmid et Guardiola jouent les deux matchs presque en intégralité. Habituellement cantonné aux tâches défensives, le pivot espagnol joue cette fois également en attaque avec son compère Rafael Baena, à qui le gardien Andreas Palicka laisse la place en attaque. Radivojevic et Tollbring sont sur les ailes, Reinkind et Rnic entourent Schmid en attaque, Taleski (à la place de Rnic) et Bliznac (à la place de Tollbring ou Schmid) entrent en défense.
Ça commence mal pour les Löwen, les habituels remplaçants peinent à prendre le rythme. Après une récupération de balle, Viran Morros marque dans le but vide (5-1, 6'). Mais tandis que le public catalan scande quelques « Libertat » en référence à la situation politique de la Catalogne, Rhein-Neckar refait son retard. Palicka monte en régime dans les buts, et sa défense aussi. Les Barcelonais, pas au top de leur handball, peinent à trouver des solutions. En face, après un début de match plus que délicat, Momir Rnic trouve la cadence et marque six fois en première période, dont le but égalisateur juste avant la sirène après un schwenker parfaitement exécuté (13-13, 30').
Les Lions poursuivent sur leur lancée au retour des vestiaires. On ne dirait pas que Schmid a joué la veille, tant le Suisse garde une bonne vision du jeu malgré du déchet au tir. Le Barça attend d'être mené de quatre buts (14-18, 38') pour se réveiller et reprendre le fil d'un match dont il est, vu le contexte, le favori. Dika Mem est l'élément moteur des Blaugranas en attaque (8 buts) et ramène presque à lui tout seul son équipe au score, malgré les arrêts répétés de Palicka, en pleine forme. Morros égalise à moins de dix minutes de la fin (24-24, 51'). Pekeler et Mensah font leur entrée, le jeu à 7 est abandonné, RNL reprend l'avantage (24-26, 52') mais Victor Tomas égalise en contre (26-26, 54'). Plus aucun but n'est marqué ensuite, la faute à Andreas Palicka d'un côté et à Gonzalo Pérez de Vargas de l'autre, lui aussi auteur d'une très belle partie. Un point du nul (26-26) presque inespéré au vu des circonstances, mais amplement mérité sur le match pour Rhein-Neckar. Point noir pour les Lions : dans une défense sur N'Guessan, Guardiola prend un mauvais appui et la cheville gauche de l'Espagnol se tord presque à angle droit. On ignore la durée d'indisponibilité d'un des leaders du club de Mannheim, elle pourrait être de quelques semaines.
Un défi réussi, mais pas forcément à reproduire
Une victoire et un nul : le bilan est plus qu'honorable pour Rhein-Neckar Löwen dans ce week-end de folie. La recette ? « Beaucoup de volonté, beaucoup d'intensité mise et deux incroyables gardiens », explique Andy Schmid au Rhein-Neckar-Zeitung. Les Lions de Mannheim marchent sur l'eau ces derniers temps, et semblent capables de pouvoir tout affronter. C'est ce qu'on a vu encore ce week-end avec deux matchs de très haut niveau séparés de 25h et de 1500 km. Alors, de quoi ils se plaignaient ? C'est donc faisable, de jouer deux matchs à l'extérieur en deux jours ! Oui, mais le moins souvent sera le mieux. Car le physique des joueurs est incontestablement mis en danger, même si la blessure de Guardiola aurait pu survenir dans un autre contexte. Et après deux tels matchs en deux jours, il faut avoir du temps pour récupérer. Les Löwen en auront à peine le temps : jeudi, ils seront à Cassel pour jouer contre Melsungen, un adversaire plus coriace que Leipzig. Samedi, ils seront encore à l'extérieur, à Skopje face au Vardar, le leader de leur poule. Garder le même visage sur ces deux matchs à venir serait un exploit vraiment retentissant.
Mickaël Georgeault