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Don’tPlayThePlayers : Patrice Canayer demande de stopper l’hypocrisie


En conférence de presse ce midi, Patrice Canayer a été questionné sur la campagne lancée par les meilleurs joueurs du monde cette semaine, Don’tPlayThePlayers. Celle-ci vise à diminuer le nombre de matchs disputés par saison. Et le manager du Montpellier Handball n’a pas hésité à livrer le fond de sa pensée.

Il n’était peut-être pas venu pour ça, mais il devait s’y attendre. Il aura fallu exactement six minutes pour que la question vienne sur la table de Patrice Canayer, à l’occasion de sa conférence de presse avant le déplacement de Montpellier à Chambéry en coupe de France dimanche. Quelle question ? Celle concernant le mouvement lancé par les joueurs mercredi, visant à mettre en lumière le nombre trop grand de matchs que les internationaux jouent au cours d’une même saison, et surtout les rythmes infernaux imposés. Lancé sur le sujet, le manager héraultais s’est lancé dans un quasi-monologue de quinze minutes, et n’a pas gardé sa langue dans sa poche. “Chacun est en train de dire que c’est la faute du voisin. Je comprends ce mouvement, mais je n’aime pas les prises de position sans discernement. Il faut entrer dans le coeur du dossier. Dans le handball, 20% des joueurs jouent trop et 80% pas assez. Mon opinion est que si tu es professionnel pour jouer une fois par semaine, ce n’est pas assez. Le problème concerne donc 20% des joueurs” commence-t-il, avant d’avancer ses arguments. “A partir du moment où les droits TV ne montent plus, qu’on a une Arena, où trouve-t-on l’argent ? En jouant. Peut-être que si les droits TV montaient, on aurait plus d’argent et on jouerait moins.” Et quand au risque physique induit par le fait de jouer plus de matchs, Patrice Canayer ne passe pas par quatre chemins : “Il est inclus dans le contrat qu’on a. Demandez au maçon qui se lève à 8h du matin pour aller sur les chantiers s’il n’a pas de risque physique. Il faut regarder tout ça avec un peu de distance. Par contre, je trouve tout à fait respectable et honnête le discours de Nikola Karabatic, qui dit qu’il arrêtera en 2020 pour ensuite continuer avec son club.”

Alors, si le verbe est acéré, il ne tient pas non plus à faire passer le mouvement des joueurs pour une révolte de privilégiés. Car les calendriers internationaux sont, à commencer par celui du dernier championnat du monde, “une vraie daube”. Mais, pour Patrice Canayer, les leviers d’action sont ailleurs. Dans l’agencement de ces calendriers, d’abord, plus que dans le nombre de matchs. Car les déplacements à l’autre bout de l’Europe, à Kielce, Veszprem ou Zaporozhye, sont un enfer pour les joueurs qui participent à la Champions League tous les weekends, surtout pour ceux dont les clubs n’ont pas la possibilité d’affréter un avion privé un weekend sur deux. “Pourquoi ne pas chercher à mutualiser ces déplacements ? Il faut en discuter avec l’EHF. Si je dois choisir, c’est là où je change les choses, la façon de se déplacer plus que dans le nombre de matchs. J’ai été clair avec les joueurs, faire les déplacements en coupe d’Europe en avion privé, c’est 250.000€. Je leur ai dit, regardez-moi, qui est volontaire pour ne pas avoir de contrat la saison prochaine pour qu’on trouve cet argent ? Ou alors, c’est 15 à 20% de moins sur chaque contrat” continue-t-il, quelques minutes après avoir souligné que les joueurs choisissent de jouer les compétitions européennes et les grands championnats tous les ans : “S’ils veulent ne jouer qu’une fois par semaine, ils le peuvent, il ne faut pas dire qu’on les force.”

“J’ai passé l’âge d’entendre que l’ouvrier est gentil et l’employeur méchant”

L’aménagement des calendriers reste, néanmoins, une des grandes pistes de travail. Entre le Hand Star Game, supprimé cette année “et je me suis battu pour qu’il le soit”, mais que “le syndicat des joueurs voulait maintenir”, le Trophée des Champions allégé à partir de la saison prochaine, des progrès ont été faits. Même si, selon Canayer, il y a encore mieux à faire. “Avec la suppression du Hand-Star Game, j’ai donné une semaine complète de repos à mes internationaux. C’est une avancée. Maintenant, après le match de dimanche, on ne va pas jouer pendant trois semaines. Est-ce normal ? Le problème est, à l’heure actuelle, que chacun est tellement arc-bouté sur la défense de ses propres intérêts qu’il en oublie l’intérêt général” appuie-t-il, avant d’envoyer une pique aux télévisions. “Les commentateurs hier [de Aix-Nîmes sur beIN Sports, ndlr], je n’ai pas du tout aimé. En public, ils prennent une position ridicule de défense des joueurs quand, en coulisses, lorsqu’ils achètent les droits, ils se battent pour qu’il y ait plus de matchs. C’est se foutre de la gueule des gens” assène-t-il, avant que les instances nationales ne soient aussi pointées du doigt. “Que je sache, le vice-président de l’IHF est français, non ? Et si on prend la Golden League, je ne crois pas que ce soit l’IHF qui ait forcé la FFHB à signer le contrat pour trois matchs amicaux en quatre jours. On demande toujours aux autres de faire des améliorations, et on ne va pas avancer comme ça” conclut celui qui tient les rênes de Montpellier depuis 1994 et qui, de son propre aveu, a vu toute la montée du professionnalisme.

Comme il en avait un peu, le manager du MHB a donc pris son temps pour exposer ses arguments. Aux antipodes de ceux des joueurs. Ni plus, ni moins valables, mais différents. Appuyant bien sur le fait que le sport, de nos jours, était avant tout une industrie du spectacle et que, comme chanteurs ou acteurs, les joueurs voyaient leurs émoluments grimper en multipliant les apparitions. Alors oui, les meilleurs joueurs du monde sont les plus sollicités et, à terme, le spectacle produit va finir par en pâtir. Mais avant d’en arriver là, il faudra se mettre autour d’une table et discuter. Pas de mesurettes. Sauf que, selon Canayer, tout le monde est pour l’instant dans son petit coin, en train de préserver son pré carré. Et la situation n’est pas aussi binaire qu’elle pourrait en avoir l’air. “J’ai passé l’âge d’entendre que l’ouvrier est gentil et l’employeur méchant” termine-t-il, avant de se lever. Son message est passé.

Kevin Domas (avec Guillaume Bresson)

22 CommentairesPoster un commentaire

  1. Kaczo 13 - le 5 avril 2019 à 16h06

    Une mise au point basée sur des faits, où l’économie et la finance ont bien leur place. Souhaitons qun véritable débat s’instaure entre toutes les parties pour pérenniser notre super sport.

  2. jbclamence35 - le 5 avril 2019 à 16h24

    Analyse très intelligente de la situation. Excellent article, merci Handnews.

  3. emilcostarica - le 5 avril 2019 à 16h57

    C'est surtout une mise au point basée sur la préservation des petits intérêts particuliers à tous les niveaux: joueurs, dirigeants, fédé, instances européennes, tv…au détriment de l’intérêt collectif de notre sport préféré.
    C'est bien dans l'air du temps, effectivement l'économie et la finance y ont bien leur place en favorisant l'avarice et la convoitise de chacun des protagonistes.
    Bref, Mr Canayer fait un bon résumé de l'état actuel de notre société, vu à travers le prisme du handball…

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