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Sélectionneur et entraîneur de club, formule gagnante ?
Depuis plusieurs saisons, le handball international masculin a vu se développer le cumul des mandats d’entraîneurs de club qui occupent également la fonction de sélectionneur national. La récente démission de Talant Dujshebaev de son poste de sélectionneur de la Pologne a-t-elle mise en avant les limites de ce système ? Les deux fonctions sont-elles compatibles à l’heure d’une professionnalisation de plus en plus forte ?
Le phénomène, d’abord limité à quelques entraîneurs de clubs qui avaient décidé de saisir une opportunité en dirigeant une équipe nationale, a pris une ampleur bien différente depuis près de deux ans. Dans le sillage de Manolo Cadenas, entraîneur de Plock en Pologne et sélectionneur de l’Espagne, ce sont plusieurs techniciens de renom qui ont cumulé une double fonction en clubs et avec une équipe nationale : Olsson avec la Suède et le PSG, Biegler avec Hambourg et la Pologne, Dujshebaev avec Kielce et la Hongrie puis la Pologne, Antonio Ortega avec Copenhague et le Japon, Xavier Sabaté avec Veszprem et la Hongrie, Xavi Pascual avec le Barça et la Roumanie, ou encore Raul Gonzalez avec le Vardar Skopje et la Macédoine. Dernier en date en France : Jackson Richardson avec Dijon et le Gabon. La liste n’est évidemment pas exhaustive mais tend cependant à se réduire au fil des saisons. Talant Dujshebaev a en effet jeté l’éponge après des résultats très décevants à la tête de la Pologne, préférant se concentrer uniquement sur son club de Kielce. Seul le trio espagnol Sabaté, Pascual et Gonzalez continue à avoir les deux casquettes parmi les équipes en lice en Ligue des Champions.
Dujshebaev symbolise la difficulté des « cumulards »
« Je pense qu’on peut réussir dans cette double fonction, explique Toni Garcia (photo ci-contre), l’ancien entraîneur de Toulouse désormais à la tête de l’équipe réserve du Barça et adjoint de Ribera en sélection. Evidemment, il y a de la fatigue qui s’accumule en fonction du championnat dans lequel évolue l’entraîneur et des compétitions auxquelles il participe. Mais cela peut aussi lui donner de la fraîcheur en étant toujours en pleine activité et dans le rythme de la compétition. Etre à la tête d’un club et d’une sélection te donne le pouvoir d’être plus réactif. »
Pourtant, les résultats des « cumulards » peinent à faire de ce modèle un succès. L’exemple le plus flagrant est Talant Dujshebaev, qui a su faire passer un cap à son club de Kielce mais qui a échoué en sélection nationale. Après son échec avec la Hongrie, son bilan à la tête de la Pologne après quatorze mois sur le banc est décevant : élimination au premier tour du Mondial en France et qualification très compromise pour le prochain championnat d’Europe. « Etre entraîneur est un métier alors que sélectionneur est une fonction, affirme Dragan Zovko, passé notamment par Tremblay, Vernon ou encore Créteil. Personnellement, je pense que ce n’est pas une bonne chose de cumuler les deux postes. » Et d’aller plus loin encore concernant Talant Dujshebaev. « Jouer en championnat de Pologne, puis préparer les matches de Ligue SEHA, se retrouver ensuite à jouer la Ligue des Champions et, une fois son match européen terminé, devoir être quelques heures plus tard avec la sélection polonaise. Quel surhomme ! »
Y. Sylla : « Accumuler de l’expérience à balles réelles »
Pour Toni Garcia, si les deux fonctions ne sont pas incompatibles, il faut avant tout savoir bien s’entourer pour réussir à la fois en club et en équipe nationale. « Je crois qu’il est très important d’avoir un staff technique de qualité à ses côtés » affirme-t-il. En la matière, Yérime Sylla a su s’entourer d’hommes de confiance pour mener de front son poste d’entraîneur avec Cesson et de sélectionneur de la Belgique, l’une des équipes nationales montantes en Europe. Le manager de Cesson avait dans un premier temps laissé la sélection pour se consacrer au club breton. Quelques mois plus tard, il a décidé de reprendre du service pour continuer le travail mis en place auparavant avec les Red Wolves. « Je prends beaucoup de plaisir à coacher les joueurs de Cesson comme ceux de la Belgique, confie-t-il à Handnews. Je tiens d’ailleurs à remercier mon club et ses dirigeants d'accepter de me libérer pour les échéances internationales. L'avantage, pour moi, c'est de vivre plus de matchs, d'accumuler de l'expérience à "balles réelles". C'est un exercice stimulant et enrichissant. » Les résultats plaident en sa faveur avec une sélection belge fringante, qui avait d’ailleurs posé des soucis à l’équipe de France en novembre dernier (38-37), et un club de Cesson qui parvient à maintenir son rang en Starligue malgré l’avant dernier budget de D1.
L’ancien entraîneur dunkerquois apprécie de développer des qualités et des compétences différentes et complémentaires à travers ces deux fonctions. « En club, on travaille toute la saison voire souvent plusieurs saison avec les joueurs, explique-t-il. On a du temps tous les jours pour mettre en place ce que l’on souhaite. En sélection, c'est ponctuel et il faut des résultats immédiats. » Yérime Sylla tient cependant à apporter un bémol : cumuler les deux postes est plus compliqué pour des entraîneurs qui jouent également une Coupe d’Europe avec leur club. « Le championnat est de plus en plus exigeant, poursuit-il. Je ne crois donc pas que cette tendance de cumuler club et sélection se développe car c’est compliqué à mener de front. J’aurais beaucoup de mal par exemple si nous étions européen avec Cesson. »
L’entraîneur rennais va en tout cas prendre davantage l’accent belge au quotidien la saison prochaine puisqu’il aura sous ses ordres quatre internationaux : Jeff Lettens, Thomas Bolaers, Simon Ooms et Arber Qerimi. « Yérime nous connaît, avouait Arber Qerimi dans la presse belge il y a quelques jours. Il connaît nos qualités et nos défauts. Il sait ce qu’on peut faire. Et nous, on sait comment il fonctionne. Je pars donc un peu dans l’inconnu mais pas vraiment. » Pour l’entraîneur rennais et sélectionneur belge, nul doute que travailler avec une partie de ses internationaux facilitera le travail et sera bénéfique à la fois pour Cesson et pour la Belgique. « Je suis avec les joueurs belges depuis 2011, rappelle-t-il. C'est donc plus simple pour moi et pour eux d'intensifier notre collaboration. C'est un gros avantage en termes d'intégration. » Avec, peut-être, la même réussite pour Cesson en Starligue que la Belgique sur la scène continentale depuis quelques années.
Olivier Poignard